L'armement des agents de sécurité privée: une vraie avancée?

sécurité.jpgLe projet de loi de loi relatif à la sécurité publique sera examiné en séance publique au Sénat la semaine prochaine. Son article 6 prévoit la possibilité d’un armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection physique des personnes. Une pratique qui est déjà mise en œuvre discrètement au profit de plusieurs entreprises de la région parisienne dont le siège de Charlie Hebdo et un grand parc d'attractions.

Quel est l'intérêt de cette loi qui débouchera sur la création d'une nouvelle carte spécifique d’agent armé de protection de l’intégrité physique des personnes? Quels sont les risques éventuels? Des réponses avec Guillaume Farde, directeur associé d'Althing, société de sécurité et d'intelligence économique.

Une loi sur l'armement des agents de sécurité privée... Cela signifie-t-il que jusqu’à ce jour, ils ne pouvaient pas être armés ?

Ce projet de loi met fin à une incohérence juridique assez préjudiciable aux agents exerçant des activités de protection physique des personnes. Concrètement, l’article L. 613-12 du Code de la sécurité intérieure interdit leur armement. Or, dans le même temps, l’article R. 315-5 du même Code permet au ministre de l’intérieur "d’autoriser par arrêté toute personne exposée à des risques exceptionnels d’atteinte à sa vie, sur sa demande, à porter et à transporter une arme de poing".
Dans les faits, les personnes menacées sollicitent le port d’arme non pas pour elles, mais pour leur agent de protection aux termes d’un raisonnement juridique que je schématiserais ainsi : je suis l’objet d’une menace exceptionnelle qui me donne le droit de solliciter un port d’arme, or la menace dont je suis l’objet rejaillit sur mon agent de protection, donc mon agent de protection serait en droit d’être armé.
Vous admettrez que ce syllogisme est assez bancal. Il permet certes, à des agents de protection rapprochée d’être armés en se prévalant d’une norme réglementaire, mais il les place dans une situation de très forte insécurité juridique puisque la loi pose un principe d’incompatibilité entre leur activité et le port d’une arme à feu. Dans un contexte où les demandes d’armement par des personnes exposées ont bondi de 40 % en un an et où plus de 75% des demandes de ports d’armes permanents concernent les agents de protection rapprochée et non les personnes menacées elles-mêmes, il était urgent de légiférer.

L'augmentation du volume d’armes en circulation peut-il induire des risques en termes de sécurité publique ?

Je ne le crois pas. En premier lieu, seules 1 600 cartes professionnelles délivrées par le CNAPS au 31 décembre 2016, concernaient uniquement l’activité de protection physique des personnes dont je rappelle qu’elle est exclusive de toute autre activité privée de sécurité. Sur ces 1 600 agents agréés, seuls 1 200 exercent effectivement cette activité, desquels il faut encore extraire un noyau dur d’agents réellement en charge de la protection de personnes exposées à des risques exceptionnels d’atteinte à leur vie.
Les dispositions du projet de loi relatif à la sécurité publique ne devraient, au final, concerner que quelques centaines de demandes, et donc d’agents, sans compter que l’appréciation des demandes de port d’armes au regard des "risques exceptionnels d’atteinte à [la] vie" est assez stable et que rien ne laisse présager une explosion des autorisations.
En second lieu, la loi prévoit qu’un décret en conseil d’Etat fixera les modalités d’application des dispositions relatives à l’armement des agents. Concrètement cela signifie que l’armement des agents sera très encadré sur le plan de la formation initiale et de la formation continue. Les conditions d’entreposage de l’armement seront également précisées et le cadre d’emploi des armes sera celui de la légitime défense. Il est fort à parier que le régime applicable aux transporteurs de fonds sera une source d’inspiration en la matière. En tout état de cause, du strict point de vue de la sécurité publique, il est plus sûr de délivrer des autorisations de port d’arme à des professionnels dûment formés à leur emploi et régulièrement contrôlés qu’aux personnes faisant directement l’objet de menaces.

Cette loi change-t-elle vraiment quelque chose pour les professionnels du secteur ?

Elle met fin à la fin de l’incohérence juridique que je décrivais pour les professionnels d’un secteur en pleine expansion – ce qui n’est pas peu de chose. La loi contribue aussi à limiter une forme de concurrence déloyale exercée par les sociétés étrangères. Je veux dire par là qu’à ce jour, l’article R. 315-6 du Code de la sécurité intérieure permet à des agents de protection rapprochée étrangers – notamment américains – de personnalités étrangères exposées séjournant en France, d’exercer temporairement leur activité sur notre sol en étant armés. Des demandes de ce type sont régulièrement formulées par les canaux diplomatiques. En 2015, environ 700 autorisations de port d’arme ont été ainsi délivrées à des personnalités étrangères – et à leurs agents de protection physique.
Au regard de l’interdiction actuelle d’armement qui frappe les agents des sociétés françaises, les sociétés étrangères de protection rapprochée bénéficient d’un avantage compétitif plutôt déloyal. La modification introduite par la loi relative à la sécurité publique permettra aux personnalités étrangères menacées de recourir plus facilement aux services d’agents de protection physique français dûment formés et contrôlés. Non seulement cela soulagera le Service de la protection (SDLP) de la Police Nationale qui a atteint le maximum de ses capacités d’emploi, mais cela permettra, en outre, au ministère de l’intérieur de réduire progressivement les autorisations de port d’armes aux agents étrangers. Je rappelle à cet égard qu’Israël ou, plus proches de nous, la Belgique et l’Italie n’accordent désormais plus aucune autorisation de ce type. La précision du cadre légal français associée à un régime plus restrictif d’autorisation des ports d’arme aux personnalités étrangères, devrait logiquement bénéficier aux sociétés françaises de protection physique des personnes.

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Publication : jeudi 19 janvier 2017