Tanks, chars, blindés lourds ou légers, VTT, VBCI… On s’y perd un peu (et on perd un peu nos lecteurs) dans les appellations attribuées aux différents types de matériels terrestres de combat, en particulier ceux rencontrés sur les champs de bataille d'Ukraine.
La décision française de céder des AMX-10 RC à l’Ukraine illustre parfaitement ce flottement : tantôt l’AMX-10 RC est qualifié de "tank", tantôt de "chars de bataille" ou de "blindé lourd". Comment appeler ce blindé d'une masse de 15 t à vide (18 t dans sa version modernisée et baptisée AMX-10 RCR), armé d’un canon de 105 mm et servi par un équipage de 4 hommes ? Et comment, plus largement, nommer correctement les véhicules de combat alignés par les forces armées contemporaines ? Entre les fiches techniques et les affirmations des spécialistes (on lira par exemple le "blog complètement blindé", Blablachars) et des fanas, le choix d’une appellation dans la nomenclature militaire suscite bien des échanges, parfois virulents,
A défaut de croiser des opinions, même le plus souvent de bonne foi, j'ai préféré recherché une base formelle. J'ai choisi le Traité de novembre 1990 sur les forces armées conventionnelles en Europe et ses huit protocoles. Ce Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE) a été signé par vingt-deux États membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de l'Organisation du traité de Varsovie.
Dans son article 2, il définit et décrit les matériels concernés par l'effort post-Guerre froide de réduction des arsenaux conventionnels. Certes, il décrit des équipements en service en 1990 mais il fournit un cadre.
Le "char de bataille" (le Main Battle Tank, MBT en anglais) est un véhicule blindé de combat à chenilles qui a un poids à vide d’au moins 16,5 tonnes et qui est armé d’un canon d’un calibre d’au moins 75 millimètres pouvant tourner sur 360 degrés. De tels véhicules blindés sont utilisés comme système d’arme principal des formations de chars et des autres formations blindées des forces terrestres. Ils ne sont ni conçus ni équipés au premier chef pour transporter des troupes de combat.
Mais, selon le Traité, tout véhicule blindé de combat à roues répondant à tous les critères susmentionnés est également considéré comme un char de bataille. Ce qui pose la question de l’AMX-10 RC. Mais cet équipement n'est pas cité dans la liste de 1990 des types existants de chars de bataille où l'on trouve le M-1 et le M-60 américains, les T-34, T-54, T-55, T-62... soviétiques, le Leopard allemand, l'AMX-30 français, les Challenger et Chieftain britanniques etc. Le motif? Sa masse alors inférieure à 16,5 t.
Aux côtés du char de bataille évoluent d'autres blindés aux missions et aux caractéristiques spécifiques. Globalement, le Traité parle de "véhicule blindé de combat" pour décrire "un véhicule automoteur doté d’une protection blindée et d’une capacité tout terrain".
Cette catégorie inclut les véhicules blindés de transport de troupe, les véhicules blindés de combat d’infanterie et les véhicules de combat à armement lourd.
Ainsi, le terme "véhicule de combat à armement lourd" décrit un véhicule blindé de combat doté d’un canon intégré ou organique à tir direct d’un calibre d’au moins 75 millimètres ayant un poids à vide d’au moins 6 tonnes et ne répondant pas aux définitions d’un char de bataille (voir ci-dessus) ou à celles d’un véhicule blindé de transport de troupe ou d’un véhicule blindé de combat d’infanterie (voir ci-dessous).
Dans le Traité de 1990 l'AMX 10 RC est bien mentionné dans la liste des véhicules de combat à armement lourd. L'AMX-10 RC côtoie l'ERC 90 Sagaie français, le PT-76 russe, le Saladin britannique etc.
Parmi les blindés plus récents de cette catégorie, on peut citer les M1128 Stryker américains, les Ratel-90 sud-africains, les Centauro italiens, le ZTL-09 chinois, le MCV Type 16 japonais, des blindés qui peuvent accueillir plusieurs types de tourelles et d'armes et qui peuvent servir pour l’appui-feu.
Le "véhicule blindé de transport de troupe" (armored personnel carrier, APC en anglais) est un véhicule blindé de combat qui, conçu et équipé pour transporter un groupe de combat d’infanterie, possède en règle générale un armement intégré ou organique d’un calibre inférieur à 20 millimètres. Le VAB français (photo ci-dessous prise en Ukraine) qui équipe certaines unités ukrainiennes tombe sous cette catégorie.
Le "véhicule blindé de combat d’infanterie" (infantry fighting vehicle, IFV en anglais) est un véhicule blindé de combat conçu et équipé essentiellement pour transporter un groupe de combat d’infanterie, qui permet normalement aux combattants de tirer de l’intérieur du véhicule sous protection blindée, et qui est armé d’un canon intégré ou organique d’un calibre d’au moins 20 millimètres et quelquefois d’un lance-missiles antichar. Les véhicules blindés de combat d’infanterie sont utilisés comme système d’arme principal des formations et unités d’infanterie blindée ou d’infanterie mécanisée ou d’infanterie motorisée des forces terrestres. Bradley aux USA, Marder en Allemagne, VBCI (qui a remplacé l'AMX-10P) en France et Warrior en GB sont des IFV.
Les évolutions des équipements (modernisation, adaptation) et l'arrivée en parc de nouveaux équipements chamboulent un peu la nomenclature établie par le Traité. Ainsi, le Jaguar français, l'engin blindé de reconnaissance et de combat appelé à remplacer l'AMX-10 RCR français, est armé d'un canon de 40mm; sa masse à vide est de 20 tonnes. Ce n'est pas un char; est-ce un véhicule de combat à armement lourd? Non, puisque son canon est de 40 mm. C'est un EBRC, dénomination bien française pour un engin qui ne trouve pas sa place dans la nomenclature du Traité de 1990.