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Les zolies zistoires pour enfants: dis, comment ça naît, une vraie armée?


Tancrède
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La question pourrait aussi inclure "comment se forme une mentalité régionale/nationale apte au service armé/militaire (professionnel ou non) au-delà de la simple mobilisation d'urgence?" mais la question est vaste de toute façon, aussi essaierai-je de limiter le sujet.

C'est un aspect des choses qui me fascine au travers de l'observation historique du "temps long" (mais pas tant que ça au fond): comment une armée commence et se structure, avant de devenir une habitude qu'on renouvelle et réinvente sans arrêt? Poser cette question renvoie inévitablement aussi à la désintégration/disparition des armées et souvent des Etats qu'elles soutiennent.

J'exclue déjà du sujet les disparitions accidentelles (défaites majeures qui font disparaître un Etat....) et les causes dues au devenir de l'Etat, sujet bien trop vaste. Je m'intéresse donc ici juste au processus historique, humain, culturel, technique et organisationnel qui "fait" une armée.

Donc pas de truc sur le besoin absolu d'un Etat, ou à tout le moins d'une entité comparable (féodale, religieuse, tribale, para-étatique, citadine....): c'est un acquis. Oui, une armée est une émanation d'une structure de pouvoir forte, décidée et stable (et un peu thunée quand même: fiscalité et armée ont une histoire absolument parallèle).

La plupart de mes exemples et bases de réflexion me viendront de l'Europe à partir du XVème siècle, véritable creuset des armées modernes et période de renouveau de l'Etat et de ses armées qui s'imposent définitivement sur les reliquats de la féodalité, elle-même une évolution caricaturale du système militaire franc renouvelé par les carolingiens.

Je connais en fait surtout les exemples français et espagnols, véritables bases, avec la parenthèse bourguignonne (qui enrichit par la suite le modèle espagnol) de la réorganisation militaire européenne, l'Angleterre en étant à l'écart pendant un long moment (guerres civiles, sommeil militaire sous les Tudors, guerres de religion puis apathie des premiers Stuarts.... En fait Rien ne vient d'Angleterre jusqu'à Cromwell avec sa New Model Army), de même que l'Allemagne et l'Italie, étranglées par les guerres internes et le repli local et régional, et dont les seules contributions militaires sont des unités mercenaires spécialisées, soit généralement des initiatives disparates au niveau individuel, ne faisant que répéter et améliorer à la marge des modèles anciens (essentiellement des milices communales), mais juste pour quelques métiers particuliers.

L'Etat moderne et l'armée moderne sont donc définis par les évolutions françaises et espagnoles des XVème-XVIème siècle, et c'est à partir de ces 2 exemples que je lance le débat et pose la question de la naissance d'une armée.

Elles n'apparaissent pas ex nihilo, bien sûr: il y a toujours des systèmes anciens, mais qui au Moyen Age n'ont pas grande échelle, et constituent surtout un terrau fragile qui peut disparaître en une génération. Un savoir-faire périme et/ou se perd vite s'il n'est pas transmis et remis au parfum du temps. Mais plus encore, un mode d'organisation, une science et une habitude du commandement, une compréhension d'ensemble de la tactique, de la stratégie et de l'art opérationnel, même empirique, s'oublie ou s'affaiblit terriblement vite.

Même le fait de décréter une armée permanente ne crée pas obligatoirement une capacité militaire réelle, tenable dans le temps et valable: les francs archers de Charles VII, s'ils se sont avérés excellents face aux Anglais dans la fièvre volontariste de la Guerre de Cent Ans, ont vite périmé en tant que système pérein sous Louis XI qui s'en débarrasera sitôt après la bataille de Guinegatte pour créer la première infanterie permanente de l'Europe moderne avec les bandes d'infanterie, en 1479-1480, dont la bande de Picardie, notre 1er RI.... Tadaaaaaa  =)!!!

Mais comment ça commence? Comment crée t-on un ensemble d'unités qui marchent à partir de presque rien? Qui sont les premiers gars? Les 10, 15 ou 40 gusses à partir de qui on va former de vastes armées? Comment est-ce possible?

En Espagne, l'infanterie qui deviendra les Tercios a commencé avec les paysans soldats et l'hidalguia (qui, de statut social et culture locale, deviendra en fait l'esprit de corps de l'infanterie des "Tercios Viejos", sans plus aucun lien au statut social) mobilisés par les petits rois du nord de la péninsule dont les territoires, très peu peuplés, ne pouvaient assurer leur défense par les seuls chevaliers, vraiment trop peu nombreux. Tous les paysans des marches devaient donc assurer un service militaire, apprenant sur le tas la guerre d'embuscade sur les frontières avec les Etats musulmans et transmettant le savoir à leurs gosses. Ne pouvait en naître qu'une bonne culture de l'infanterie légère (sélection naturelle oblige et nécessité fait loi.... Assez pour les adages  :lol:) et une compréhension des logiques de solidarité et de camaraderie, ainsi que des principes de coordination.

Par la suite, ces mêmes camaraderies de paysans sont organisées à plus grande échelle et commencent à être utilisées comme unités d'infanterie périodiques (on est encore en modèle médiéval) en dehors de leur territoire, non plus seulement pour la défense, le harcèlement et la contre-attaque locaux, mais aussi pour la mobilisation pure et simple dans un ordre de bataille. Immédiatement dans la foulée de la reconquête de Grenade, ce sont les guerres d'Italie qui vont permettre un usage continu et la réorganisation régulière.

A partir de là, ces groupes sont formalisés en capitanias plus ou moins harmonisées (de 200 à 500, voire 600h, mais on descend aussi à 100, voire 50), comme les "Routes" et "Compagnies" françaises. Le pivot du système militaire est alors le capitaine (pour l'origine du terme, aucune querelle chauvine: le terme vient directement du latin "caput/capitis" qui veut dire "tête", et dont vient les mots "chef" en français, "cabo" en espagnol et "capo" en italien.... Et "capitaine" en dériver directement): c'est lui qui dirige l'unité tactique centrale.

L'armement des capitanias espagnoles est alors composite. C'est Gonzalve de Cordoue qui réorganise en grand ce système en concentrant et harmonisant des unités en groupes plus complet, et qui les spécialise dans l'usage d'une arme unique dans chaque bandera (nouveau nom des capitanias): pique, pique légère et arquebuses (qui remplacent les arbalètes, avec une période de transition ou il existe des banderas d'arquebusiers et des banderas d'arbalétriers). Le nom de Tercio ne vient que du nombre de ces groupements de capitanias en Italie: un en Lombardie, un en Sicile et un à Naples, ayant chacun grosso merdo un tiers des troufions.

Plus encore, ce "grand capitaine" comprend l'importance du commandement au niveau tactique, et crée une mini révolution (sa plus grande selon moi) en attribuant à chaque unité un Etat-Major organique, permanent et non-combattant, uniquement chargé de commander: chaque banderas a une dizaine d'hommes dans ce rôle, ainsi que chaque tercio. L'ordre médiéval par excellence est que le chef est au coeur ou au front de ses troupes, et que chaque subdivision de l'armée attribue le poste de commandement de chaque échelon à celui ou ceux qui sont le fer de lance de l'unité.

Mais je m'égare déjà dans la petite enfance de l'armée alors que le sujet a plus trait à la naissance. Pour moi, l'armée espagnole n'a pu ainsi naître réellement que grâce à 3 facteurs tous exceptionnels et ponctuels:

- l'enchaînement immédiat des Guerres d'Italie après la fin de la Reconquista: pas de temps mort, et dès 1491, des fantassins espagnols sont en Italie, avant de pouvoir affluer en masse après la rpise de Grenade. Sans cela, ces fantassins auraient connu le sort de beaucoup d'autres modes de mobilisation paysannnes/Citadines, à savoir la disparition du savoir-faire, de la culture spécifique et de l'habitude dès lors que la région ou le royaume n'en avait plus un besoin permanent. Et ceci est d'autant plus vrai que les monarchies, par essence, n'aiment pas qu'une culture militaire populaire existe, même si elle peut avoir son utilité parfois. Ainsi, si une telle culture a existé en Angleterre après Edouard Ier (qui institue l'entraînement obligatoire à l'arc dans chaque village et, à une plus petite échelle, au combat corps à corps) et a bien servi les Anglais pendant la Guerre de Cent Ans (avec aussi la culture militaire des hommes d'armes gascons pour la mêlée et l'infanterie légère), elle leur a aussi posé d'énormes problèmes: nombreux soulèvements très violents, guerres civiles pas limitées à l'aristocratie.... Mais en Espagne, il n'y eut pas de temps de latence, ce qui permit au savoir-faire de se transmettre et à l'esprit particulier de l'hidalguia de se généraliser par delà le statut social pour créer l'esprit de corps de la nouvelle armée permanente. Cela a failli exister en France, où de petits aristos furent aussi inclus, par manque de moyens, dans les bandes d'infanterie et les francs-archers, mais la grande dissolution de l'armée par Charles VIII a tout cassé.

- l'afflux de moyens financiers à la monarchie espagnole, qui fut très soudain: l'or et l'argent du Nouveau Monde ne sont pas encore là en 1492, et le vrai démarrage de leur exploitation n'arrivera que 20 ans plus tard. Mais déjà, à la fin du XVème siècle, la Monarchie espagnole, tout d'un coup, reçoit un boost énorme dans ses moyens fiscaux. D'abord un boost ponctuel avec la saisie des dernières terres musulmanes de la péninsule et surtout la mainmise sur les biens des rois de Grenade, mais aussi sur une grande part de biens des populatiosn musulmanes et juives. Mais surtout, et avant tout, par la brutale expansion des moyens familiaux dans un laps de temps très court: la réunion de la Castille et de l'Aragon, mais bien plus encore le recueil par mariage du fabuleux héritage territorial, fiscal et monétaire des Valois Bourgogne, qui rassemblent alors les domaines les plus riches d'Europe et les zones de commerce les plus actives (de la Franche Compté à la Hollande) avec l'Italie. Et celle-ci ne tarde pas aussi à rapporter du fric. Cet afflux brutal de moyens à ce qui n'était jusqu'ici qu'une monarchie locale bloquée par la guerre permanente à ses frontières permet de financer la permanence de son dispositif militaire. Une armée pro peut être maintenue, et ce d'autant plus que le théâtre sur lequel on la maintient est lointain et que l'adversaire (la France) barre la seule route terrestre. L'Italie est donc un objectif d'outre mer dans pour lequel il est impossible de ne mobiliser que périodiquement.

-Gonzalve de Cordoue: homme exceptionnel, il a introduit une révolution dans l'organisation militaire. C'est toujours un miracle que, surtout dans ces mentalités médiévales de chevaliers, apparaissent de telles figures, mais plus encore que de telles figures parviennent à se faire entendre et à faire valoir leur avis face à la masse des préjugés du temps. Et l'opposition de l'aristocratie chevaleresque espagnole, juste au sortir de la Reconquista qui plus est, n'a pas du être facile à vivre.

Ces 3 facteurs exceptionnels, uniques, ont créé les conditions pour que certains savoirs-faires espagnols se maintiennent et, à partir de là, dans le cadre d'un Etat en pleine affirmation, puissent se développer.

L'exemple français est notablement différent; je le traiterai plus tard.

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J'embraye donc sur l'exemple français.

Juste un mot du cas anglais, seul autre Etat-Nation d'Europe avec la France et l'Angleterre qui s'est affirmé à cette période charnière du Bas Moyen-Age: le système de la yeomanry (à la base la "petite bourgeoisie" locale) sur lequel reposait le recutement des archers professionnels de la Guerre de Cent Ans aurait pu devenir la base de l'armée anglaise, mais il a graduellement disparu avec les désastres de la dernière partie du conflit, avec les guerres civiles anglaises qui ont suivi, puis dans la relative paix instaurée par les Tudors (surtout le très radinissime Henry VII), dynastie dont les débuts coïncidèrent avec l'apparition des nouvelles armes et méthodes de combat. C'est la période de repli de l'Angleterre, renvoyée à son insularité et à sa lilipucianité. Et les forfanteries, gasconnades, tartarinades et prétentions d'Henry VIII ne changeront pas cette réalité: l'Angleterre est militairement out pendant un siècle et demi, sur le plan des interventions dans les guerres européennes (ils aimeraient bien croire que les trucs de l'Invincible Armada et du Siège de la Rochelle veulent dire quelque chose, mais ce n'est pas le cas  :lol:), et pendant 2 siècles sur le plan de l'efficacité militaire. De la défaite de Formigny à la mise en place de la New Model Army, rien de bien terrible chez nos voisins.

Le cas français donc.

Initialement, le modèle "primitif" franc veut que chaque homme libre soit un combattant, s'entraînant au combat à l'année et tenant son équipement prêt au combat, l'équipement variant selon sa fortune, mais pas son rang social. Les carolingiens ont poussé ce système plus loin en l'organisant et en le rationalisant, autour de territoires, de types d'unités.... Mais les évolutions économiques (repolarisation graduelle des richesses), sociales, militaires (l'étrier était généralisé, mais c'est la selle à arçons qui a autorisé la chevalerie lourde et la charge, et l'équipement de ce combattant est devenu hors de prix) et culturelles (apparition de la mentalité féodale vers les XIème-XIIème siècles) et géographiques (essor urbain massif = des citadins ne peuvent pas s'entraîner aussi facilement que des pégus), le temps de paix relative à l'intérieur des frontières, l'exode de la noblesse turbulente dans les crisades, de même que la détérioration graduelle inhérente à tout système (on devient plus flemmards, surtout quand la nécessité permanente n'est plus là et que les combats sont plus loins), ont consacré l'avènement de la féodalité.

C'est d'autant plus vrai que la chevalerie se ferme à tous les niveaux (économique, culturel, social....), et que le renforcement de la féodalité juridique, politique et économique fait de la noblesse une caste qui se met de plus en plus à part à partir du XIIème siècle. Et un seigneur veut encore moins qu'un roi que ses pégus sachent se battre, d'autant plus qu'il ne veut pas des masses avoir à les rétribuer ou aider à leur équipement. Les subsides du roi en temps de mobilisation, censés le payer lui, ses vassaux et les sent-la-pisse qu'ils mobilisent dans leurs bleds, ben il les garde!

Bref, ce système déjà bien usé montre toute son inefficience pendant la Guerre de Cent Ans: la caste nobiliaire fermée s'est donc aussi fermée culturellement aux évolutions militaires, et plus encore à toute forme d'autorité. Conception individuelle et "tribale" de la liberté et enfermement idéologique dans la mentalité chevaleresque ont condamné les qualités militaires de l'outil guerrier féodal. Si le chevalier français est sans aucun doute le plus terrible système d'arme de l'époque pour le combat de contact, monté ou à pied, il ne vaut pas un pet de lapin en unités, d'abord et avant tout parce qu'il n'y a de facto aucune vraie forme de combat structuré passé le début de la bataille, aucune possibilité de le contrôler et une capacité très limitée à le commander. Sans même compter le mépris absolu pour tous les autres combattants.

C'est de ces échecs que naît un nouveau type d'homme, noble ou non: l'homme d'armes de la guerre de cent ans. Je parle là du combattant professionnel qui a morflé de ces défaites spectaculaires et qui y a survéc, et a donc du faire dans la démerde face à une situation qu'un scientifique qualifierait de "merdique" (ses mots, pas les miens  ;)). Et je pense surtout aux capitaines, dont le prototype est Du Guesclin et les archétypes sont La Hire, Xaintrailles, les frères Bureau....

La première tentative d'une armée professionnelle arrive avec le grand rebâtisseur qu'est Charles V, qui reconquiert l'essentiel de la France dans le 2ème quart de la Guerre de Cent Ans et la débarrasse des ravages des énormes effectifs de mercenaires et soldats licenciés (les Grandes Compagnies, qui, à très grande échelle, causèrent sans doute les pires ravages et horreurs de tout l'affrontement) au lendemain de la première période de la guerre. Son connétable, Du Guesclin, n'est au fond qu'un petit hobereau breton, moyennement doué pour le commandement de grandes armées, mais terrible combattant et grand meneur d'hommes, avec le génie des coups de main, et plus encore, une vision d'ensemble très claire des opérations: bref, c'est un stratège et un tacticien à qui il manquerait l'échelon intermédiaire, l'art opérationnel. Pas un général, mais un grand capitaine et un grand stratège. Bref, avec un effectif dérisoire (à tout péter 3 à 4000h) de professionnels endurcis payés à l'année, il reconquiert le territoire et dégage les rosbifs de tous les territoires qu'ils avaient et de ceux qu'ils avaient conquis. Par des coups de mains, des embuscades permanentes, de la guérilla, des assauts surprises de places-fortes.... Il réalise ce que de grandes armées n'ont pu faire. Parce qu'il a un plan.

Mais au lendemain de cette reconquête (il ne reste que 5 ports à l'Angleterre en France, et pas de territoires, soit moins que leurs domaines hérités en France) et à la mort de Charles V, le système militaire se met en sommeil. Le grand système de défense par la fortification du royaume, initié sous philippe VI, est gardé, mais pour le reste, on en revient à l'armée féodale sous Charles VI, avec quelques groupes d'archers et guisarmiers gardés auprès du Roi, pour former sa garde qui n'est même pas encore la Maison Militaire du Roi, seulement son amorce (avec la compagnie d'archers écossais). Le reste est soldé.

Là, vous venez de voir comment NE NAIT PAS une armée  :lol:.

Le vrai fondateur de l'armée française (au sens où nus l'entendons), c'est Charles VII, l'ex "petit roi de Bourges", sponsor de Jeanne d'Arc. Je passe sur la reconquête graduelle du nord de la France qui se fait avec des mercenaires, des chevaliers féodaux et des levées paysannes (les citadins préfèrent généralement payer en argent, mais il y a aussi des unités de milices communales). On notera juste que, comme à chaque guerre, la permanence de la guerre, qui se fait parfois hors saison (l'hiver) permet cependant la professionalisation de fait de certains personnels qu'on réembauche chaque année au printemps, voire qu'on garde à l'année. C'est toujours là que naît et renaît sans cesse le savoir-faire, ainsi que des ébauches d'esprit de corps, au moins au niveau élémentaire.

Le seul vrai esprit de corps est celui de la chevalerie, ancien et profond. et il est à noter que les débuts du XVème siècle voient l'effacement de cet esprit de corps comme généralité de classe transfrontière (jusqu'ici, c'était un esprit de corps qui liait tous les chevaliers entre eux, mêem quand ils s'affrontaient en guerre) au profit d'un attachement plus patriotique: les chevaliers regardent encore les autres combattants comme des étrons pas frais, mais les chevaliers d'en face ne sont plus vraiment vus comme des "camarades par-delà les oppositions". On se met moins à rançon et on se tue nettement plus, quoi. Du coup, c'est mathématique, y'a un peu d'affection qui va aux sent-la-pisse: "ce sont des étrons, certes, mais ce sont les nôtres" disait encore récemment à Nelson Montfort (qui parle le vieux françois aussi -mais bien sûr avec un sale accent) un chevalier des années 1420.

Les chevaliers sentent quand même les évolutions de l'art de la guerre, et il n'est plus vu comme inconcevable que l'un d'eux soit assigné au commandement en propre d'une unité d'infanterie. De même, certains se penchent sur l'artillerie (même si des familles bourgeoises ont pris un temps d'avance).

La vraie révolution se passe vers la fin de la Guerre, les années 1440 en particulier, qui sont la période charnière: Charles VII, après avoir créé officiellement une Maison Militaire permanente pour lui, institue par ordonnance la première armée permanente et professionnelle de l'histoire de France (rien de pareil en France et en Europe depuis l'Empire Romain). Il le fait en instituant par ordonnance (quel gaucho a dit qu'il n'aimait pas quand le gouvernement légifère par ordonnances?) des Compagnies constituées d'éléments composites issus des évolutions militaires récentes et des leçons de la guerre.

Ces compagnies sont des unités effectives, même si au combat, elles deviennent plus des unités uniquement administratives, les soldats qui les composent se regroupant plus par spécialité quand on les réunit dans une armée, surtout parce que les nobles préfèrent se mettre entre eux, qu'ils chargent à cheval ou à pieds.

Bref, qu'est-ce qu'une compagnie d'ordonnance? Ben ça commence à la base avec la Lance, un groupe de 6 gars et de 6 à 8 chevaux (combien de possibilités  :lol:.... Rôôô, c'est sale!). par la suite, le seuil minimum obligatoire de chevaux par lance passera à 12. La composition:

- 1 homme d'armes, c'est-à-dire surtout un aristo, pouvant indifféremment combattre à pied ou à vaval. Il est le chef, il est l'officier, le fromage de tête, mais aussi le "fer de lance" (waf  :lol:!) de l'unité, le super-guerrier.

- 2 archers à cheval: attention au terme. il ne s'agit pas d'archerie montée, juste d'archers qui disposent d'un cheval pour se déplacer. Eux combattent à pied.

- 1 coutilier: c'et un fantassin de contact, un vrai pro de la guerre.

- 1 page: un jeunot en stage de formation, chargé de porter le matos des autres, y compris en bataille, de les aider, et en théorie pas de combattre. De fait, le page aide souvent à faire le coup de hache (aahhh, la jeunesse).

- 1 servant ou valet d'armes: c'est l'enfant bâtard d'un larbin, d'un tringlot et d'un appelé. Celui qui nettoie les fonds d'armure  :lol:, retricote les cottes de maille, fait le camp et la popote, et porte et astique le matos des autres.

Ces unités élémentaires sont éparpillées sur le territoire en hiver et en temps de paix, assignées à des tâches de police, de sécurité et d'entraînement. Quand on les réunit, elles sont rattachées à leurs compagnies (elles aussi permanentes, même si elles n'ont que peu d'effectifs centralisés), dont la taille moyenne est d'environs 100 lances (le chiffre de 100 est fixé par l'ordonnance).

Charles VII ajoute aux Compagnies les Francs Archers, sorte de produit bâtard entre une conscription modérée et un système professionnel, en partie inspiré du modèle anglais: chaque communauté, ville, village.... Selon sa taille et sa richesse, doit fournir un certain nombre d'archers solides, en forme et entraînés au tir et au combat, ainsi que financer leur équipement. Les hommes désignés ou volontaires doivent s'entraîner toute l'année et se tenir à disposition en cas de mobilisation (où ils seront payés).

On trouve enfin une artillerie permanente qui s'organise en bandes (nos régiments), elles-mêmes subdivisées en parcs (nos batteries). Les frères Bureau en sont les heureux papas. Et c'est cette arme qui contrebalancera l'archerie anglaise, na!

Voilà. Après j'arriverais à Louis XI, dont les choix militaires ont vraiment donné forme à une armée permanente. Selon moi, il illustre bien le processus de formation.

Donc n'hésitez pas à critiquer, à apporter vos propres exemples et contre-exemples....

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Si je peux me permettre un commentaire. 

Dans le processus de formation de l'armée espagnole, il me semble que la Guerre de Grenade joue un rôle charnière, et à mon humble avis de véritable creuset. Et dans cette période, la figure de Ferdinand n'est pas négliger. Ce n'est pas pour rien que Maquiavel le pris comme exemple du Prince, si je ne fais pas erreur...

C'est une question en debat. Mais, il me semble que l'on voit apparaître, lors de la guerre de Grenade un ensemble d'innovations, qui ne concernent pas que l'infantérie d'ailleurs. Des innovations dans l'utilisation de l'artillerie, la création d'une véritable "logistique" et, je le dis de mémoire, donc à vérifier, d'un système de santé. 

Lors de cette guerre, les Espagnols apprenent à conduire des véritables "guerres prolongées" et non plus simplement des campagnes d'été...

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Je crois que le prince que Machiavel citait en exemple était italien, mais je ne sais plus s'il s'agissait de Francesco Sforza (parti de rien du tout, même pas noble, il gicle les Visconti et devient Duc de Milan), de César Gorgia ou d'un Médicis (mais je sais plus lequel; Jean de Médicis je crois).

C'est une question en debat. Mais, il me semble que l'on voit apparaître, lors de la guerre de Grenade un ensemble d'innovations, qui ne concernent pas que l'infantérie d'ailleurs. Des innovations dans l'utilisation de l'artillerie, la création d'une véritable "logistique" et, je le dis de mémoire, donc à vérifier, d'un système de santé. 

Le point est que les armée permanentes apparaissent à ce moment, et ce sont là les naissances des armées modernes. le sujet concerne la naissance de toute armée durable, mais le manque de documentation me limitent à l'Europe. On peut gloser sur les évolutions militaires romaines et grecques, mais assez peu sur les origines, et là je m'intéresse surtout au processus de naissance proprement dit. Jeciterais plus tard l'exemple macédonien que je connais pas mal et dont je connais la genèse, qui eut l'avantage d'être rapide et quasiment ex nihilo à une époque où la documentation est suffisante.

Pour ta remarque, je ne crois pas qu'on puisse encore parler d'un service de santé, et pas immédiatement dans l'organisation pré-tercio. En revanche, sans parler d'un système, je soulignerais que chaque état-major permanent de bandera, à partir de Gonzalve de Cordoue (et ces EM sont sa création), inclue un barbier dans cette dizaine d'hommes, le barbier n'étant pas un coiffeur spécialisé  :lol: mais bien un charcuteur professionnel. L'amputeur en chef, quoi. Et sans doute aussi, pour les capitaines qui ont les moyens, un médecin, chirurgien ou barbier (un peu plus qualifié) particulier, mais pas vraiment compté dans l'effectif.

N'allons pas qualifier ça de service de santé. Sinon, on pourrait qualifier Ambroise Paré de premier chirurgien militaire moderne, mais à sa grande critique (lui était un chirurgien, main d'oeuvre semi qualifiée méprisée par les médecins.... Tout change  :lol:), les armées du temps n'ont que des amputeurs attitrés, qui font aussi la barbe et jouent les arracheurs de dents à l'occasion. Les premiers vrais systèmes de santé militaires (bref, qui ressemblent à quelque chose d'organisé avec un cahier des charges et des moyens) n'apparaissent qu'à la fin du XVIIIème siècle, et ils sont déplorables, même selon les critères de l'époque. Le premier qui soit un peu efficace est celui que l'armée anglaise met en place juste avant la guerre de Crimée.

Les "guerres prolongées" ne le sont quand même pas tellement: la coutume du temps, les moyens disponibles (on préfère, même quand on a les moyens, solder les mercenaires et 1/3 de l'armée voire nettement plus en hiver) et les mentalités considèrent encore une campagne d'hiver comme exceptionnelle et peu souhaitable.

Ce qui change plus à mon sens, c'est le "champ de vision" de la guerre, de plus en plus vue comme un "art total" sans limite de coutume, de moyens (en diversités et en taille) ou d'usages. Beaucoup de préjugés restent, mais, après 2 à 3 siècles de confusion, on constate que les préjugés chevaleresques crèvent lentement (mort symbolique avec la fin de Bayard) mais que les préjugés nobiliaires restent; ainsi, on pourrait résumer ça en disant que les aristos ne dédaignent plus de commander des piétons, des archers/arquebusiers (et le mépris à leur égard disparaît après Bayard) ou l'artillerie.... Du moment qu'ils commandent et qu'ils peuvent les regarder de haut  ;).

En ce sens, la Guerre de Cent Ans et les Guerres d'Italie ont été la "Guerre de Péloponèse" de l'Europe médiévale: comme pour la Grèce, ces guerres totales ont détruit l'ancien cadre de pensée, les usages, les limitations auto-imposées.... En même temps qu'elles ont impliqué le développement d'Etats forts capables de supporter cette charge militaire nouvelle.

il me semble que la Guerre de Grenade joue un rôle charnière,

Oui, c'est ce que je disais autrement, je crois (ou alors tu veux dire quoi?, précisément?); mais plus largement, ce sont toutes les guerres de reconquista qui ont créé le terrau favorable en créant des petites unités dont on a ensuite fait la synthèse et la rationalisation. En ce sens, c'est le fait que les Guerres d'Italie s'enchaînent sans transition avec elles qui permet la poursuite de l'évolution du système.

Je m'explique: le sujet concerne la naissance d'une armée, et je me base avant tout sur ces 2 exemples pour essayer de voir s'il y a, derrière les différences, un processus, un parcours générique. Et ma première hypothèse (grand mot) est que, comme toutes les guerres, la Reconquista a créé, le plus souvent dans la douleur, des modes opératoires militaires et des types de soldats et de petites unités. Mais ça c'est comme dans toutes les guerres: on fait des conneries, on prend des baffes, et puis on s'adapte.

Seulement généralement, si le calme revient après coup, chacun retourne dans sa chacunière et les systèmes sont soit oubliés (s'ils dérangent le pouvoir, comme le fait d'avoir des paysans et des hobereaux sachant se battre), soit réduits au minimum. Et c'est encore plus vrai au Moyen Age où les Etats féodaux sont avant tout caractérisés par la faiblesse des moyens permanents. En bref, l'armée disparaît, ainsi que les habitudes, l'esprit, la culture, la structure et le savoir-faire. Et quand revient la menace, il faut tout reprendre de zéro. Et pour cette disparition, il suffit d'un instant seulement: en une génération, les hommes meurent, mais il faut bien moins longtemps pour qu'un système, une structure, un esprit et des unités disparaissent. parfois un an ou deux. Alors qu'il faut des décennies pour les créer, parfois plus.

La phénomène est le même en France: jusqu'à Charles VIII, la guerre est une menace permanente, et le système de Louis XI est l'aboutissement ultime du long processus d'adaptation de la France, non plus seulement à la Guerre de Cent Ans, mais aussi aux menaces permanentes aux frontières (fritages avec les Impériaux, mais surtout avec la fuite de l'héritage bourguignon dans le giron habsbourgeoix, qui nous crée une menace pour 2 siècles). Mais Charles VIII fout tout par terre: l'infanterie de piques permanente, l'amorce d'un corps d'arquebusiers et une partie de la gendarmerie d'ordonnance. Seule l'artillerie est conservée,et elle reste la meilleure d'Europe pour encore quelques siècles, ainsi que le gros des compagnies d'ordonnance, soit essentiellement de la cavalerie, des archers et de l'infanterie légère.

Mais la tradition d'infanterie est squelettique et limitée aux vieilles bandes pour un moment. Ca maintient un peu, mais faut penser que Louis XI avait mis sur pied une infanterie de piquier permanente, entraînée, expérimentée et bien équipée de près de 15 000h auxquels s'ajoutait un corps permanent de Suisses de 6000h.

Bref, Charles VIII a cassé cet outil en quelques années: l'infanterie de ligne française (je parle à un niveau significatif, en tant qu'outil de puissance; au moins, les 4 bandes ont conservé le savoir-faire) a du attendre plus d'un siècle pour vraiment renaître, et il a fallu faire avec des masses de mercenaires hors de prix et peu fiables pendant ce temps.

Pour souligner mon point, je poserais cette question: que serait-il advenu de l'armée espagnole de 1491 s'il n'y avait pas eu de front italien? Le roi (enfin sa reine  ;)) aurait renvoyé tout le monde dans ses quartiers, et avant tout les fantassins, potentiellement fouteurs de bordel et contestataires. Suffit de voir comment ils se sont débarrassés des Almogarves qui furent l'équivalent de nos Grandes Compagnies et des bandes d'Ecorcheurs. Et même si 2 ou 3 ans plus tard, il avait fallu remonter une armée, reformer des unités combatives et efficaces aurait repris des années; et encore, les hommes connaissant le combat auraient été encore vivants. Si la nouvelle guerre avait attendu 15 ou 20 ans, il aurait fallu repartir du point zéro: pas de tercios, pas d'hidalguia, pas de capitanias.... On aurait formé des unités portant ces noms, peut-être, et on aurait engagé comme tout le monde des piquiers, des archers et des arquebusiers et essayé de les faire marcher ensemble, mais cela n'aurait rien eu en commun.

Ce qui a permis aux tercios d'être ce qu'ils furent, c'est avant tout, comme je le mentionne, parce que la nécessité de maintenir les armées existantes fut incontournable. Et ces unités étaient déjà l'aboutissement d'un système qui avait évolué dans le temps, mais qui n'était lié qu'à un conflit particulier.

Le fait d'embrayer directement sur l'Italie a permis de poursuivre le processus d'adaptation/évolution au-delà de ce qui s'était vu depuis l'empire romain, en Espagne comme en France (mais en France, cette poursuite n'a vraiment pu concerner que l'artillerie et la cavalerie, et selon moi c'est tout la faute à Charles VIII).

Et cette poursuite n'a été rendue possible que par l'extension des moyens des monarchies: en France, c'est l'imposition d'un système fiscal nouveau et l'affirmation du Roi et de l'Etat (qui ne sont pas encore les mêmes  :lol:). En Espagne, c'est l'héritage bourguignon qui donne ces moyens; je rappelle que les Valois Bourgogne créèrent aussi une armée permanente et profesisonnelle en parallèle de l'évolution française, et ils le purent parce qu'il s'agissait de domaines terriblement riches (les Valois Bourgogne étaient les princes les plus riches d'Europe, et de très loin).

Et encore, ces moyens n'ont permis que de garder un nombre limité de Tercios Viejos, qui furent les seules vraies grandes unités permanentes espagnoles ayant une supériorité nette sur les autres infanteries de leur temps (c'est dire à quel point elles devaient coûter bonbon); les autres tercios étaient le plus souvent soldés passé l'été ou à la fin d'une guerre. Mais rien que le coût de ces 3 tercios, au début, puis des 7 à l'apogée, drainaient des sommes énormes (jusqu'à 1/3 du budget ordinaire de la couronne) et eut été absolument inaccessible avant la fin de la reconquista et l'héritage bourguignon.

C'est en ce sens que j'évoquais mes 3 facteurs principaux pour le cas espagnol; je ne doute pas que bien d'autres soient entrés en ligne de compte. Mais là, il y eut une révolution militaire à ce moment précis, dans une période charnière très courte où l'outil aurait pu aussi bien disparaître effectivement en 3 ou 4 ans sans qu'il soit possible de le recréer après. L'hidalguia, par exemple, n'aurait pas eu la moindre chance de se perpétuer après la fin de la reconquista; ce serait devenu une espèce de solidarité locale et ou sociale, sans plus, au lieu d'évoluer en un esprit de corps militaire qui a fait le siècle d'or (et de sang) espagnol.

Mon premier facteur était donc le moment (le basculement vers le front italien sans transition, qui permet de garder l'existant), mon deuxième les moyens (croissance brutale: maintenir et développer l'outil devient possible) et le personnage (el Gran Capitan, le mec qui a eu la bonne idée au bon moment avec le bon outil; beaucoup de conditions à réunir).

En France, l'évolution eut pu être analogue si l'infanterie avait été maintene par Charles VIII; mais il l'a dissoute. Moins de 2 ans après, il allait en Italie, mais il était trop tard, l'outil était cassé et réunir les vétérans n'aurait pas servi à grand-chose (il aurait fallu les réentraîner en unités constituées....), à moins de financer l'armée expéditionnaire en Italie ET l'infanterie restant en France pour se réentraîner. Peut-être l'outil aurait-il été sauvable encore à ce stade (mêmes hommes = mêmes solidarités, vieux réflexes....), mais il aurait fallu pour cela payer 2 armées dont une juste pour s'entraîner, alors même qu'on en déployait une massive, faite de mercenaires immédiatement disponibles, en italie. Un peu hors de portée question moyens. Ou alors on aurait renoncé à intervenir, mais c'était impossible.

Bref, seules la cavalerie et l'artillerie françaises pourront poursuivre leur évolution/adaptation via les guerres d'Italie, et elles le feront bien: les compagnies d'ordonnance vont opérer une révolution complète, et les cavaliers lourds, après avoir prouvé qu'ils étaient ce qui se faisait de mieux, deviendront une cavalerie de manoeuvre qui restera la meilleure d'Europe. L'artillerie aussi restera la meilleure.

En termes de processus de naissance, je trouve que ces évolutions révèlent quelque chose, non?

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Il faut que je me mobilise pour te repondre de manière pertinente...

En ce moment je suis dans une phase de "décomposition intellectuelle", because état amoureux avancé ; agravé par la nouveauté et la qualité de la Dame sur l'ensemble des plans, cerveau y compris... Ceci explicant les "oranges bleues" de l'autre jour... :lol: Faudrait pas que je te sorte une citation de R. Char hors contexte, ça ferait désordre. 

Bon c'était pour te dire que j'étais avec toi. Mais que je reflechis lentement, présentement....

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No problem, lucky little you! Effectivement, tu as la meilleure excuse pour être con  :lol:! C'est la phase "petit nuage rose": opération lancée.

Pour René Char, fais gaffe à pas trop appliquer sa citation en vogue sur la chaîne parlementaire: trop prévoir en stratège nuit à ces choses là, trop agir en primitif risque de nuire à la bonne cause  ;). Comme en (presque) tout, point trop n'en faut.

C'était la platitude du soir, à vous Cognacq Jay.

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Ben justement non, comme je l'ai expliqué plus haut. Gustave Adolphe a créé un outil très efficace, mais qui n'était en rien la première armée moderne. L'armée française de Louis XI fut la première armée ayant toutes les caractéristiques modernes (conception globale et non centrée sur la chevalerie, armée complète avec infanterie pique/armes à distance, cavalerie et artillerie), mais Charles VIII la rendit incomplète. L'armée espagnole est la plus ancienne armée complète à être demeurée telle par la suite.

En France, il a fallu reformer ce qui avait déjà existé, à savoir l'infanterie, et bien avant les Suédois, il y eut les Suisses, les Allemands et les Espagnols eux-mêmes qui servirent d'inspiration au système régimentaire. L'influence suédoise est moins arrivée par une étude du modèle que par l'arrivée en Alsace de l'armée mercenaire de Bernard de Saxe Weimar à la fin de la décennie 1630, et son intégration dans l'ordre de bataille français dès la mort du condottiere en 1639. L'infanterie était un composite germano-suédois qui a participé à l'évolution du modèle français qui se met réellement en place pendant cette guerre (les travaux préparatoires s'étaient faits par bons, d'abord sous Henri II et ses 3 fils qui ont transformé les bandes en régiments, et surtout sous Henri IV, le meilleur général de son temps, qui relança la formation permanente d'unités d'infanterie professionnelle).

Mais essayons de rester sur l'analyse des processus par lesquels naît une armée. En Suède, par exemple, le système que les Vasa perfectionnent repose sur les communautés paysannes nordiques, très soudées et isolées dans un pays peu peuplé, qui sont appelés par groupes d'origines pour une période de service militaire. Gustave Adolphe améliore cela en adaptant l'entraînement par une bonne compréhension des modes de guerre moderne. Et surtout, son talent permet de passer la délicate phase de la mise en service de cet outil dans sa nouvelle forme; après cela, l'aguerrissement vient et valide ce modèle qui s'épuisera sous Charles XII.

Mais tout cela est arrivé presque un siècle et demie après que ce processus eut lieu en France puis en Espagne.

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Ah?! Spongebob a giclé son post? Tant pis.

L'autre jour, je regardais une intervention d'une médiévaliste qui disait en gros que le seul impôt que pouvait lever le roi de France était un lié à la guerre. Si la guerre cessait plus d'impôt. Ce qui explique entre autre que la guerre de cent ans dura aussi longtemps. Cet état de guerre quasi-permanent entrainait l'existence d'une armée permanente elle aussi. D'où la "naissance" de l'armée sous Charles VII ou Louis XI. Ce qui ne m'étonne pas vu son caractère "retord" d'universelle aracne (c'est d'ailleurs ce qui en fait un de mes rois favoris).

Sinon j'ai toujours vu l'ost français des premiers capétiens comme quelque chose de mythique. Le gonfanont de St Denis qu'on allait chercher et que l'on mettait à la tête de l'ost royal, je trouve cela émouvant.

C'est très exact; jusqu'à la Guerre de Cent Ans, les ressources propres du roi sont celles d'un grand seigneur féodal, à savoir celles de son domaine. Il a cependant quelques privilèges particuliers:

- sur les monnaies (qui permet de dégager pas mal de fric)

- l'organisation de grandes foires internationales (du type de celles de Champagne)

- le droit naval (notamment le "droit d'épave")

- la protection de minorités (Juifs, Lombards.... Qui ont beaucoup craché au bassinet)

- la saisie de biens de grands féaux (le plus gigantesque exemple étant la commise de l'essentiel des terres angevines en France en 1204, qui limitèrent les domaines des Plantagenêts en France à la Guyenne)

- les droits sur la circulation dans certaines zones (notamment pour les grands pèlerinages, véritable tourisme de masse de l'époque)

- le droit sur les successions féodales de ses vassaux directs, essentiellementles grands féodaux et les seigneurs du domaine royal, car le roi est l'arbitre de ces successions: il se paye en argent ou en nature (une terre, un domaine)

Ces ressources lui donnent des apports assez conséquent. Mais c'est en temps de guerre qu'il peut faire voter de vrais impôts massifs et avoir accès à une autre gamme de moyens:

- l'arrière ban que les communautés urbaines peuvent payer en argent plutôt qu'en hommes

- le don gratuit du clergé: un don ponctuel en argent, pour une croisade, une guerre ou une autre situation exceptionnelle. Le roi peut le forcer, mais le montant peut varier

- le dixième: un impôt de temps de guerre sur le dixième des revenus des grands ordres (ultérieurement transformé en vingtième)

- le ban: l'impôt des nobles, payé en nature, à savoir par la mobilisation des chevaliers du royaume ("l'impôt du sang")

- le don du pape: généralement limité aux croisades

Mais tout ça, c'est du bricolé et concerne des sommes qui, hors temps de guerre, sont largement insuffisantes pour asseoir l'autorité du roi et donc l'unité du pays.

Mais les rois n'ont pas prolongé la Guerre de Cent Ans pour pouvoir lever du fric: le fait est que la guerre épuisait les revenus réguliers et le royaume. Quand on regarde de près ce conflit, on voit surtout beaucoup de périodes de grandes pauses tout simplement parce que les belligérants ne peuvent financer longtemps de grandes opérations. Ce qui donne sa longueur au conflit entre les périodes de grande activité, outre l'irrésolution militaire, c'est l'insécurité globale permanente dans de larges pans du royaume, en raison des guéguerres féodales et changements d'allégeance permanents dans une partie de l'aristocratie (le pire étant la guerre civile entre Armagnacs et Boruguignon, qui est une vraie guerre), mais aussi en raison des larges bandes de soldats démobilisés qui causent des ravages (Grandes Compagnies, Ecorcheurs....) et des cortèges de gens ruinés et/ou expulsés (qu'on ait cramé leur village ou qu'on les en ait virés) qui se réunissent en bandes locales et sont condamnés au crime.

Le fait est que les dons exceptionnels, décime ou don gratuit, ne furent pas non plus votés systématiquement au roi, que les caisses eussent été vides ou que les corps concernés refusent. Ces crédits n'ont rien de systématique et doivent être votés à chaque fois, mais les besoins ont toujours dépassé ces possibilités, et ces possibilités sont très loin d'avoir été votées tous les ans, même dans les périodes de grande activité militaire. j'ai pas fait les comptes, mais je doute qu'il y ait eu plus d'une trentaine de tels votes sur les 116 ans du conflit.

C'est vraiment la création de la taille permanente, en nature ou en argent, par Charles VII, qui change la donne (mais avec la remise du royaume en ordre, parce que pendant la guerre, les recettes étaient pas fabuleuses).

MAIS CE N'EST PAS LE SUJET!!!

Sinon j'ai toujours vu l'ost français des premiers capétiens comme quelque chose de mythique. Le gonfanont de St Denis qu'on allait chercher et que l'on mettait à la tête de l'ost royal, je trouve cela émouvant.

Ca c'est plus dans le sujet: celui qui a ressorti (ou inventé) l'oriflamme, c'est Louis VI, qui est le vrai premier capétien (dans le sens où c'est lui qui a lancé le mouvement de "conquête" capétienne du royaume). Il a réinventé la symbolique de la monarchie française (l'oriflamme, le cri de guerre et tout le tralala), avant tout pour insuffler un nouvel élan et un nouvel esprit de corps à sa chevalerie, inconnu depuis Charlemagne (dont est censé venir l'oriflamme de St Denis). L'host royal des capétiens naît, ou renaît, vraiment avec lui. Ses ancêtres Robert le Fort et Eudes de Paris avaient déjà réussi cela.

La symbolique a aussi une grande importance dans les commencements; parce que c'est CA le sujet, les commencements, ces "moments d'une délicatesse extrême" comme le dit la princesse Irulan Corrino (avis aux amateurs  ;)).

Sur la photo: il est où ce faux oriflamme (le vrai a disparu, je le rappelle; la dernière fois qu'il a été vu, c'est à la fête de la fédération en 1790)?

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J'illustrerais aussi mon propos par des contre exemples, avec l'Allemagne, mais plus encore l'Italie. on ne le sait guère, mais de l'époque carolingienne jusqu'au début du XVIème siècle (c'est contestable, mais au moins jusqu'au XVème), la meilleure infanterie du monde est italienne, comme le rappelle lui-même Machiavel pourtant si grand contempteur de l'organisation politique et militaire en Italie. Les corps d'infanterie issus initialement des milices communales italiennes, poursuivant la tradition antique, ont quelques beaux faits d'armes à leur actif, notamment lors des croisades (la prise de Constantinople par les Vénitiens avec les chevaliers français ne fut pas une mince affaire, de même que que les guerres au service de grands seigneurs italiens et italo-normands comme la famille de Tarente) et plus encore dans la lutte permanente entre Guelfes et Guibelins. Les milices communales italiennes ont par exemple foutu branlée sur branlée aux armées de Frédéric Ier Barberousse à la fin du XIIème siècle.

Quand à la chevalerie italienne, elle n'a rien à envier à ses homologues européennes: même aristocratie, même moyens, même logique, même entraînement.... Pour un même résultat.

Au moment des guerres d'Italie, cette tradition, renforcée par les guerres intestines permanentes a répandu le modèle et les processus et, si les milices communales ont un peu décliné, ce fut au profit de grandes compagnies de mercenaires, en majorité italiens mais intégrant des éléments de toute l'Europe. Bref, le savoir-faire tourne, et certaines de ces compagnies, si ravageuses pour le pays et entretenant une division si catastrophique en Italie, sont des armées complètes ayant la particularité d'être parfois à la pointe extrême, voire à l'origine du progrès militaire: les grands capitaines condottiere sont souvent de grands théoriciens et innovateurs. Et la capacité d'adaptation de ces compagnies est étonnante: quand le condottiere anglais John Hawkwood débarque en Italie avec ses vétérans de la Guerre de Cent Ans, la manière anglaise de faire la guerre, par chevauchées rapides et ravageuses sur le pays et par batailles ultra-défensives derrière les archers et leur cadence de tir, fait sensation et est aussitôt étudiée et adaptée, si bien qu'on apprend à la faire, mais aussi à la contrer, en un laps de temps très court!

Bref, l'Italie avait toutes les dispositions pour la création d'armées: des unités complètes et modernes, de quoi former les armées d'une Italie unie ou de quelques Etats plus importants. A manqué le moment, a manqué la volonté. Mais plus problématique fut l'implication des autres européens dans les conflits, qui ont progressivement pris la place des Italiens dans les opérations. Les armées de Cités Etats et Etats italiens ne se sont pas maintenues en raison du centrage progressif des populations sur l'économie, surtout après les ravages des grandes épidémies du XIVème siècle, ce qui a aussi fait baisser la pratique de la levée de milices et accru celle du recrutement de mercenaires, bonne solution pour maintenir les savoirs-faires à haut niveau et les adapter, mais mauvaise en ce que ce système a créé plus d'inconvénients que d'avantages.

Tout parallèle avec notre temps et un certain secteur économique serait purement fortuit  ;).

Et l'arrivée des armées étrangères ajuste consacré cet état des choses, avec pour corollaire supplémentaire d'en finir avec les condottiere et leurs armées. Et les Etats italiens sont devenus des colonies.

En Allemagne, la variété des systèmes empêche ce genre de schématisation, et le phénomène du mercenariat est plus particulier en ce que, come en Suisse, il n'a concerné que de peu de types d'unités (essentiellement des Lansquenets, rivaux des Suisses), mais avec des effectifs importants. Quoiqu'il en soit, même dans chaque Etat, les conditions n'ont jamais été réunies pour la création d'armées permanentes à ce moment, l'exportation des militaires issus des guerres précédentes trouvant en outre son exutoire dans le mercenariat.

Et moi je me demande quelles sont toutes ces conditions de naissance.

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on peut aussi évoquer le cas batave avec la naissance des provinces unis et la mise en place d'une vraie armée de métier par maurice de nassau ainsi qu'une vrai marine de guerre

de plus , il me semble que les hollandais ont fait évolué la tactique militaire à la fin du 16eme siècle

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Les conditions de création d'une armée crédible ne vont-elles pas de pair avec l'affirmation d'un pouvoir politique fort et/ou de la prise de conscience de l'unité d'un peuple sur un territoire donné?

Cette réaction est selon moi le pendant d'une menace étrangère (invasion) ou d'une volonté expansionniste (mais cela implique que le pouvoir politique ait pacifié son territoire originel). Le rôle de l'économie est ici accessoire bien qu'un Etat politiquement stable et fort a plus de chance d'être riche.

Les cas de la France ou de l'Espagne sont alors révélateurs puisqu'ils ont dû faire face aux invasions et à la nécessaire montée en puissance du pouvoir royal favorisé par un embryon de nationalisme.

Il suffit aussi de constater à quel point une armée est délaissée lorsqu'un ennemi est vaincu ou que la menace disparait.

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C'est très intéressant comme sujet, mais je pense aussi que la naissance d'une armée "populaire" a due attendre que le patriotisme, le nationalisme qui vont de pair avec le concept de citoyens du mêmes pays se répandent.

Avant c'était une affaire de levée féodale, de combats de nobles et de mercenaires pour des guerres saisonnières.

Ou alors des peuples guerriers comme les vikings ou les mongols, pour lesquels le statut de guerrier et de "citoyen" était lié, et il était réservé à une élite de toute façon.

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Les conditions de création d'une armée crédible ne vont-elles pas de pair avec l'affirmation d'un pouvoir politique fort et/ou de la prise de conscience de l'unité d'un peuple sur un territoire donné?

J'ai bien précisé dans le 1er post que les facteurs économiques et politiques sont essentiels, mais qu'ils ne sont pas dans le sujet; je m'intéresse au processus propement dit de création d'une armée. Qu'est-ce qui fait que ça marche ou pas? Comment et à partir de quoi on procède....

L'exemple batave est très bon, mais pour cadrer avec le sujet, Maurice de Nassau est déjà partiellement en dehors: son apport gigantesque arrive plus tard. Soit dit en passant, la vrai apport hollandais se situe dans l'artillerie: ils ont ptofité de leur base industrielle pour créer la première artillerie réellement standardisée et développée à outrance pour compenser leurs faibles nombres et le manque de professionalisme de leurs troupes. Ils n'avaient qu'un noyau d'infanterie bien formé, mais qui servit d'exemple à toutes les armées protestantes.

Les cas de la France ou de l'Espagne sont alors révélateurs puisqu'ils ont dû faire face aux invasions et à la nécessaire montée en puissance du pouvoir royal favorisé par un embryon de nationalisme.

Il suffit aussi de constater à quel point une armée est délaissée lorsqu'un ennemi est vaincu ou que la menace disparait.

Oui, c'est justement mon point: l'Espagne a eu la chance d'avoir un besoin immédiat de son infanterie après la prise de Grenade (en fait même, un peu avant). Les troupes ont ainsi pu rester ensembles, rester mobilisées et poursuivre leur évolution/adaptation face à une nouvelle situation tactique, qui plus est avec une masse de nouveaux moyens financiers dont a bénéficié la monarchie espagnole. L'outil envoyé en Italie fut le coeur de cet apprentissage: les 7000 à 8000h répartis en 3 armées (d'où le terme tercio) en Italie furent le coeur de cette réforme militaire qui fit une armée à partir de compagnies isolées qui n'étaient rien d'autre que des groupements d'infanterie analogues à n'importe quels autres issus d'une période de conflit nécessitant une mobilisation locale.

Et là, la poursuite de l'évolution vit la concentration, la professionalisation (favorisée par le déploiement extérieur long) et l'organisation à plus grande échelle.

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