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Pike and shot, pike then shot


Tancrède
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J'ouvre un sujet moins large que d'habitude, mais sur une période complexe qui est sans doute celle d'une des plus grandes révolutions militaires de tous les temps: la période, floue, qui s'étend de la deuxième partie de la Guerre de Cent Ans à la fin, grosso modo, des Guerres d'Italie, avec des extensions au XVIIème siècle (évolution vers le système régiment-bataillon) pour bien appréhender la création de l'infanterie moderne.

Cavalerie et artillerie entrent aussi dans le sujet, mais c'est avant tout un topic sur l'infanterie.

L'intitulé renvoie à la naissance de l'infanterie de l'époque moderne, qui pour la première fois rassemble des types d'unités jusqu'ici séparées, les tireurs et les fantassins, en unités coordonnées, puis en unités organiquement combinées, évolution majeure qui trouvera sa conclusion dans l'uniformisation absolue de l'infanterie plus tard, sous Lous XIV, avec l'abandon graduel de la pique, ce que Guibert condamnera au XVIIIème siècle après avoir mené la première étude statistique des pertes en bataille; en bon avocat du choc, il trouvait que l'infanterie aurait mieux fait de se remettre entièrement à la pique et au mouvement rapide en colonnes, vu la faible efficacité des mousquets et la relative inocuité de la baïonnette montée sur un support trop court.

Bref, pendant longtemps, j'ai essayé d'avoir une image de ce que pouvait être un affrontement de Suisses et de Lansquenets, de miliciens flamands et de fantassins gascons, pour finir par tomber sur des descriptions contemporaines assez terribles. En un mot, c'est monstrueux, et les batailles de hoplites font vraiment tapette à côté: le "push of pike", la poussée des lances, est une aberration inhumaine (on n'aimerait vraiment pas être dans les premiers rangs, dans le centre de la mêlée: on voit pas comment en sortir, avec pour seul vrai choix d'être éventré, fusillé, étouffé ou piétiné, voire une combo).

L'évolution de l'infanterie de l'hidalguia et des archers et arbalétriers espagnols est un sujet que j'ai déjà évoqué ailleurs (je peux le reprendre rapidos si besoin est). Les miliciens flamands, lansquenets allemands et mercenaires suisses viennent d'une matrice communale/communautaire relativement semblable, retraçant un processus parcouru avant eux (aux XIème-XIIIème siècles) par les milices communales italiennes dont les unités de fantassins écrasèrent les Allemands de Frédéric Barberousse.

On oublie un peu plus nos excellents fantassins gascons et les quelques bandes d'infanterie de piquiers (nous, on les appelait vougiers) rescapées des coupes budgétaires de Charles VIII dans les années 1490, après la mort de Louis XI, quand il sacrifia le gros de l'infanterie professionnelle française et détruisit l'essentiel de cet instrument avant de le regretter à peine quelques années plus tard pour intervenir en Italie.

La guerre permanente nécessita l'embauche massive de fantassins suisses, pour de tels montants que cela condamna toute possibilité d'un effort d'entraînement sérieux de plus vastes forces d'infanterie nationale pour plusieurs décennies, limitant l'infanterie française aux quelques formations susmentionnées (les 5 vieilles bandes d'infanterie, futurs "Vieux" Régiments, et l'infanterie gasconne).

Ce fut la vraie faiblesse de la France qui, de ce fait, passa à côté de l'évolution vers le combat combiné des formations d'infanterie de pique et de tir, types d'organisation qu'elle adoptera plus tard dans le siècle, à partir des années 1540, et de façon systématique seulement sous Henri II, vers la fin des années 1550, et encore dans des proportions moindres qu'ailleurs. les Guerres de Religion retarderont encore l'évolution, même si Henri IV rattrapa à lui seul tout le retard accumulé en 60 piges (changement d'organisation, accroissement de l'entraînement, doublement du nombre de régiments permanents....).

Pendant ce temps, l'Espagne put mettre en place son infanterie lourde combinée, centrée sur les tercios (formalisés dans les années 1520-1530), grâce à plusieurs faisceaux de circonstances, alors qu'au même moment, les Italiens décrochaient après avoir été les premiers à s'engager sur cette voie, plus de 3 siècles avant les grands Etats européens.

Dans le même temps, Suisses, Flamands et Allemands (ces derniers, comme les Français, y viendront plus tard) ratent la marche du combat Pike and Shot tout en restant les grandes unités de piquiers de l'époque. J'évoque assez indifféremment les unités de traits (archers et arbalétriers) et d'arquebusiers ou carabins en ce que l'évolution s'est amorcée vers une intégration avec l'infanterie de pique avant même l'introduction des armes à feu portatives qui n'ont fait que s'inscrire dans la continuité des changements engagés par le renouveau de l'infanterie depuis la fin du XIVème siècle, et surtout au XVème siècle (et même avant en Italie).

Pourquoi et comment cette révolution militaire? Pourquoi ce qui fait école pour tous dans le conflit commun et permanent en Italie ne prend pas partout? Coûts, raisons économiques, sociales, culturelles, politiques, progrès des armes à feu.... Tout entre en jeu.

A côté, on a l'évolution du rôle de la cavalerie: même si elle diminue en proportion, la cavalerie lourde reste une arme de rupture bien réelle quand elle est bien employée, ce que seuls les Français sauront faire (quand c'est pas un manche qui commande, comme un certain François n°1). Mais à côté, Espagnols et Français développent conjointement une nouvelle cavalerie qu'on ne peut uniquement qualifier de légère parce qu'elle ne se limite pas aux seules fonctions de reconnaissance, de poursuite, de harcèlement et d'escarmouches, mais participe bien à la mêlée avec une capacité certaine au choc, mais moins par la charge directe que par la manoeuvre sur les flancs.

En Espagne, ce sont les Jinetes. En France, ce sont les Compagnies de Chevau-Légers, créées en 1498 par l'allègement de plusieurs compagnies d'ordonnance dont les gendarmes abandonnent l'armure lourde et prennent des chevaux plus fins (les "Genêts" d'Espagne, nom francisé des unités de "jinetes") et dressés à la manoeuvre (la plus célèbre étant la caracole).

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Bref, pendant longtemps, j'ai essayé d'avoir une image de ce que pouvait être un affrontement de Suisses et de Lansquenets, de miliciens flamands et de fantassins gascons, pour finir par tomber sur des descriptions contemporaines assez terribles. En un mot, c'est monstrueux, et les batailles de hoplites font vraiment tapette à côté: le "push of pike", la poussée des lances, est une aberration inhumaine (on n'aimerait vraiment pas être dans les premiers rangs, dans le centre de la mêlée: on voit pas comment en sortir, avec pour seul vrai choix d'être éventré, fusillé, étouffé ou piétiné, voire une combo).

On en a un bel exemple cinématographique à la fin de Capitaine Allatriste.

Sinon pendant la période précédant les Guerres de Religion, le Roi avait crée des légions par région si mes souvenirs. Elles ont d'ailleurs partiellement survécu et permis la reprise de Calais aux anglais.

Peut-on appeler ça une révolution ? Il ne s'agit pas d'un changement brutal de méthode comme tu le décris toi-même. Ca m'a plus l'air d'être une évolution rapide car le changement, bien que rapide se fait de manière progressive.

Concernant l'artillerie ce n'est pas à ce moment là que les ribeaudequins (les pièces avec plusieurs canons) disparaissent ? Alors que l'on commence à se découvrir au niveau protection (paradoxal)  ?

J'avoue ne pas bien connaître cette période d'où mes questions.

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Les Légions sont une foirade de François Ier, qui partent évidemment d'une volonté d'adaptation louable: il s'agit d'une formation territoriale de 6000h concentrant effectivement des Pike and Shot régulièrement entraînés dans un cadre de recrutement de conscription/devoir de milice, avec plusiuers formes d'organisation sur le terrain, car la Légion n'est pas une formation militaire au sens tactique. Elle adopte un dispositif militaire pour répartir son effectif. Elles sont lancées en 1534 par François Ier et constituent la seule tentative d'adaptation à grande échelle de l'infanterie française.

Mais le problème est celui que j'ai mentionné plus haut: en temps de guerre continuelle et de vastes contingents mercenaires hors de prix entretenus à l'année, les moyens ont manqué gravement, de même que les possibilités et le temps de bien entraîner ces hommes; le résultat fut évidemment bien mauvais,

Le projet était donc d'avoir 7 légions régionales à base linguistique (Bretagne, Normandie, Picardie, Champagne/Nivernais/Bourgogne, Dauphiné/Provence/Lyonnais/Auvergne, Languedoc, Guyenne); il s'agit donc des régions frontalières (où la capacité de mobilisation est toujours supérieure car le sentiment de menace est plus grand). La répartition:

- 12 000 arquebusiers

- 3360 hallebardiers

- 25 326 piquiers

-1314 officiers, sous-officiers et soldats permanents d'encadrement et de service (commandement, musique, prévôté, intendance)

Les sous-unités étaient plus traditionnelles: chambres (groupe de combat de 10h, avec un chef de chambre), escadres d'une vingtaine d'hommes (avec un chef, ou "cap" d'escadre, notre futur caporal) et centaines (avec un enseigne -officiers- et un centenier à leur tête -sous-off). Chaque légion a un colonel (le mot apparaît alors: le colonel est le capitaine d'une colonne de marche, une colonella) et 5 capitaines, soit un capitaine à la tête d'un groupe de 1200h, secondé par 2 ou 3 lieutenants se voyant chacun confié une bande -ou cohorte- de 400 ou 500h.

Cet encadrement important pour l'époque est permanent et payé à l'année.

Mais le projet a foiré pour de nombreuse raisons: manque de financements, manque de temps, manque d'attention, manque de moyens d'encadrement, pas assez de temps donné, pas d'organisation graduelle de l'aguerrissement, problèmes dans le mode de conscription/sélection, concurrence des mercenaires (prennent tout le fric dispo, mais aussi la reconnaissance, si cruciale pour des unités de conscrits, qui plus est en période de démarrage).... Aucun de ces problème n'était rédhibitoire en soi, mais il y eut un faisceau trop important.

En dernier lieu, il faut préciser que les légions coexistèrent avec l'infanterie professionnelle française des vieilles bandes (Picardie, Piémont, Navarre, Champagne, Guyenne et Perche/Normandie) et des fantassins gascons (organisés en compagnies de 200 à 300h regroupées en bandes): ceux-là sont nettement moins nombreux (en tout, peut-être 14-15 000h) et sont avant tout éparpillés (à part les Gascons, chaque bande constitue le coeur d'un dispositif de défense sur une frontière).

Les bandes, ce sont les "vieilles enseignes", et leur efficacité, comme celle des Gascons, est attestée, notamment sous le règne guerrier d'Henri II. Les montres (revues) des camps de Jalons et Pierrepont révèlent l'ordre de bataille des années 1540-1550.

Une note aussi: c'est pendant les guerres d'Italie qu'apparaît la marche au pas cadencé au rythme du tambour, nécessité pratique d'une infanterie réglée devant garder sa formation, y compris dans un large dispositif où on ne peut tout contrôler à vue. On verserait presque dans la caricature, mais c'est chez les lansquenets allemands de Maximilien de Habsbourg que ce pas est attesté pour la 1ère fois dans les années 1480-1490  :lol:. Mais tout le monde suit assez vite (et encore, on ne peut pas dire où c'est apparu, juste citer les 1ers témoignages écrits).

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Il convient, pour l'infanterie Pike and Shot, de souligner des différences nationales, plus sensibles à mesure que les armes à feu sont adoptées par des belligérants, sur les proportions de piquiers et d'armes à feu.

Espagnols et Allemands, puis Français et Suédois s'avancent tous vers ce modèle piques-feu organique; les Suisses y accordent moins d'importance, préférant garder le modèle de la phalange massive (et moins articulée, mais plus solide). On notera d'ailleurs que les Guerres d'Italie ne sont pas leur apogée, mais le début réel de leur déclin, notamment après des batailles sanglantes où leurs pertes furent énormes, et en grande partie imputable à eux-mêmes. En effet, dans une armée, les Suisses étaient disciplinés au sein de leur unité, mais complètement indisciplinés au sein de l'armée, prenant des intitiatives souvent malheureuses, contraignant des généraux à la bataille, souvent dans de mauvaises conditions (pour faire du butin), leur confiance en eux-mêmes dépassant souvent les bornes de la prétention absolue.

Suite à quelques campagnes à grosses pertes, ils se comportèrent de plus en plus comme des mercenaires partant en campagne, et pas tellement en guerre, cherchant à faire du butin et pas tellement à combattre. La défaite de Bicocca en 1522 fut la quintessence des défauts des piquiers suisses: l'armée française ne subit quasiment aucune perte, sauf son contingent suisse qui avait contraint à la bataille et s'enferra dans ses certitudes au point de se faire saigner à blanc. Après cette bataille, les unités suisses prirent de moins en moins d'initiatives. Mais on avait vu aussi bien des cas où ils tenaient véritablement leurs employeurs en otages.

Les Anglais, eux, sont complètement à côté du mouvement.

Pour bien cercler le sujet, symboliquement, on prendra comme début de période pertinente les années 1440 (qui voient l'établissement de l'armée permanente par Charles VII), et comme fin symbolique l'année 1708 qui voit l'unification totale de l'infanterie en France avec l'abandon de la pique et l'adoption universelle du fusil et de la baïonnette à douille (pour le panache, rappelons que la première charge à la baïonnette de l'Histoire est faite en 1693 par le régiment de Louvigny, plus tard régiment d'Ile de France et futur 39ème RI).

Mais le gros du sujet commence réellement avec le règne de Louis XI (1461-1483), grosso merdo (c'est aussi là notamment que les piquiers Suisses surgissent réellement sur la scène européenne) et s'achève surtout avec la Guerre de Trente Ans, voire même s'arrêterait avec les années 1550 où l'essentiel des mutations est accompli. Après, on raffine.

L'infanterie française permanente

J'en profite pour préciser ce que sont nos Vieilles Bandes, créées par Louis XI, première infanterie professionnelle permanente (il y eut aussi les francs archers, une milice conscrite de faible qualité) et ancêtre de nos premiers régiments et de toute notre infanterie.

Genèse

C'est au Camp de l'Arche qu'est née la 1ère des vieilles bandes entre 1479 et 1482: en profitant des compagnies de gens de pieds maintenues depuis la fin de la guerre de Cent Ans et les conflits permanents avec les Bourguignons, Louis XI crée par Edit l'Infanterie française en 1479. Ces groupes expérimentés qui auraient sans doute, comme tant d'autres, versé dans la criminalité et le mercenariat s'ils avaient été livrés à eux-mêmes, furent conservés dans l'armée, répartis en "bandes" groupées au sein de cette "enseigne" de Picardie.

On leur donna désormais un entraînement permanent qui fut initié par des cadres suisses menés par Guillaume de Diesbach. L'officier commandant des troupes à l'entraînement est Philippe de Crèvecœur, sire d'Esquerdes.

Grosso modo, ce sont autour de 10 000h qui sont rassemblés en 1479.

Cette nouvelle unité est celle des vieilles bandes, ou de la veille enseigne de Picardie, qui sera ultérieurement l'unité cadre de 4 autres bandes analogues, Piémont, Champagne, Guyenne et Normandie. En fait, pendant un moment, les bandes de Picardie, c'est l'armée française, à tout le moins son infanterie.

En 1494, les premières subdivisions permanentes sont formées à partir des bandes de Picardie; ce sont les bandes de Piémont, constituées pour les Guerres d'Italie, et les bandes de Guyenne, futur régiment de Navarre (5ème RI). Ces dernières sont moins créées pour faire face à l'Espagne que pour aiguiller les effectifs très aguerris et expérimentés des compagnies gasconnes et basques au sein de formations permanentes. La création de l'enseigne de Navarre est donc la première extension à seul but de formation et recrutement après Picardie, là où celle de Piémont est créée pour opérer un rassemblement permanent pour le front d'Italie.

Les Bandes de Champagne et de Normandie sont créées plus tard, les premières sous Henri II et les secondes en 1562.

Système

On dit "les bandes" de Picardie, parce qu'il y en a de fait beaucoup, tournant autour de 300 à 400h mais gardant la possibilité de se grouper en une grande phalange unique, ce qui est la marque particulière de l'infanterie suisse qui affectionne le rassemblement en une masse unique.

La bande, c'est l'organisation tactique de base, le bataillon de l'époque, en même temps que des groupements non permanents qu'on peut prélever dans cette matrice unique qu'est l'enseigne de Picardie. Pour faire une analogie, l'enseigne de Picardie, c'est une brigade interarme, ou un régiment, dans lequel on puise un nombre donné de GTIA que sont les bandes.

Il faudrait en fait, pour être précis, les appeler "bandes de l'enseigne de Picardie", qui est l'unité mère, la matrice d'entraînement permanent et le réservoir de forces dans lequel on prélève un nombre donné de bandes de format très relativement standardisé. On pense qu'elles font 300 à 400h à la sortie du camp, mais que l'effectif change au fur et à mesure d'une campagne (intégration de recrues, amalgames de bandes suite aux pertes....) et que certaines enflent plus en raison de la renommée et de la qualité de leur officier commandant, au point qu'on voit certaines dépasser le millier d'hommes.

Pour la durée de la campagne, ces bandes existent et prennent des dénominations diverses, généralement géographiques (selon les origines des hommes qui ont tendance à se grouper par langues et patois, et plus tard, l'implantation de leur enseigne mère) ou liées au nom de leur capitaine. Si vous explorez ce sujet, vous trouverez ainsi nombre de bandes portant tous les noms de pays de France: "bandes du Perche", "bandes d'Artois", "bandes du languedoc"....

Le qualificatif de "vieille bande" est revendiqué comme un honneur par les fantassins de Picardie et de Piémont eux-mêmes dès les années 1530 (et accordé en 1535), ce qui prouve un vrai attachement à l'unité et un esprit de corps confirmé. Les chansons du corps sont de même attestées (j'en ai si ça intéresse quelqu'un). En effet, ils revendiquent le terme de "vieilles bandes" par opposition aux "nouvelles bandes" qui sont les bandes d'infanterie recrutées en temps de guerre et dissoutes lorsque la paix revient par opposition aux bandes des vieilles enseignes qui sont permanentes. La qualité des troupes n'est vraiment pas la même.

On retrouve par ailleurs le même système d'organisation générale pour l'artillerie, qui fonctionne aussi sur le mode réservoir/unité opérationnelle prélevée: les arsenaux permanents fournissent à l'armée des bandes d'artillerie sur commande.

Organisation

Une bande (dans le pack appelé "enseigne de Picardie"), c'est entre 300 et 400 fantassins en moyenne (dépend surtout de son capitaine et de sa renommée, élément qui attire les recrues); les troupes sont renouvelées avec régularité et la discipline y est sérieusement entretenue pendant toute la période du sujet, chose sans doute rendue moins difficile par la dimension réduite de cette infanterie professionnelle.

Même si l'armée de Louis XI rassemblent jusqu'à plus de 20 000 piquiers et gens de pieds français permanents (en plus des gens de traits, des fantassins suisses, des bandes et parcs d'artillerie et des compagnies d'ordonnance pour la cavalerie), l'effectif chute rapidement après lui, si bien que les 8 bandes d'infanterie française à Marignan (qui ont drainé l'essentiel des effectifs dispo de Piémont et Picardie) ne dépassent pas les 5000h ensemble.

Ce sont à la base des unités de piquiers formés à la suisse, mais l'adjonction permanente de gens de trait, initialement des arbalétriers, arrive assez vite et est attestée dès les campagne d'Italie dans les années 1490.

De même, elles passent à la version Pike and Shot purement organique dans les années 1520-1530, au rebours du reste de l'infanterie (les Suisses et les lansquenets). A Cérisoles, autour de la conquête des 3 Evêchés et au Siège de Calais, leur efficacité n'est pas contestable.

La marche se fait depuis Louis XI au son et rythme du fifre; le tambour devient officiel en 1534.

Une montre de 1549 nous décrit ainsi une bande:

- une proportion de piquiers de 3 cinquièmes de piquiers, et 2 d'arquebusiers, soulignant la recherche du choc

- une discipline attestée dans la manoeuvre, rythmée par le tambour: la marche et la charge sont donc ajustées par le son et la discipline pour conserver les ordonnancements

- plusieurs formations de combat combiné bien maîtrisées, avec la coordination des 2 armes assurée

- l'encadrement d'une bande comporte 1 capitaine, 1 lieutenant, 1 enseigne, 2 sergents, 12 lances-pessades, 4 paies-royales (des gentilshommes sans fortunes) et 1 caporal, ou cap, par groupe de 25h (une escouade ou escadre)

Bilan

Pendant les guerres d'Italie, ce système eut pu changer la donne s'il avait été conservé à grande échelle: les bandes étaient bonnes, et suivirent les évolutions techniques, mais elles ne pesèrent pas d'un grand poids en raison de la contraction des moyens disponibles qui accordèrent la priorité aux mercenaires et aux compagnies d'ordonnance (comme pour les légions). Elles eurent au moins le mérite de jouer, avec les compagnies gasconnes, le conservatoire des savoirs-faires et le creuset d'une extension ultérieure qui eut lieu sous Henri II (où on revoit des effectifs de plus de 6000h par enseigne). Côté qualitatif, il n'y avait rien à dire.

Mais de près de 20 000h sous Louis XI, elles passèrent à moins de 6000 dès après sa mort, si bien que la constitution des bandes de Piémont et de Guyenne fut de fait une amputation et non une extension, avec un éparpillement des moyens existants que ne renieraient pas nos politiques actuels. On aurait pu renouveler les effectifs de chaque enseigne, mais les moyens étaient consacrés aux mercenaires plutôt qu'à l'augmentation en net des troupes.

Et après la progression des années 40 puis sous le roi guerrier que fut Henri II, ce sont les Guerres de Religion qui refoutent la merde.

Ceci dit, j'ai récemment compris à quoi correspond la création des régiments: contrairement à l'organisation espagnole des tercios qui est née de la division des troupes d'infanterie espagnole présentes en Italie en 3 tiers (tercios) correspondants aux 3 zones d'opérations et de garnison, la création des régiments en France est une conséquence directe des Guerres de Religion plus qu'une nécessité de changement opérationnel. On a vu que les bandes étaient en fait des détachements opérationnels des unités fixes de formation que sont les vieilles enseignes, désormais réparties en 5 implantations territoriales majeures. Le problème pendant les guerres de religion, qui recouvrent en fait aussi des luttes bien féodales et une lutte de pouvoir larvée autour de la couronne même, le problème donc est que qui contrôle une région contrôle de fait ce centre de recrutement et de formation qu'est une enseigne, et son réservoir de troupes permanentes avec. Et à partir des années 1550, on commence à parler vraiment de 8 à 10 000h pour chaque enseigne. Le sud ouest, les bandes de Guyenne, auront d'ailleurs le privilège particulier lors de la transformation en régiment (le futur Navarre et 5ème RI), d'être un régiment protestant, concession évidemment sans doute due à un contrôle de fait de l'aristocratie huguenote (les Condés, puis le clan du Roi de Navarre).

Le passage des bandes aux régiments a correspondu à un truc bien simple: transformer les enseignes en régiments, c'est transformer une base de formation en une unité opérationnelle, donc la déloger de son immobilité et en faire une unité à part entière, dont les bandes deviennent des compagnies. Ce fait a aussi correspondu à l'éclatement de leurs effectifs en plusieurs régiments de taille relativement homogène, et dont les affectations pouvaient tout à fait changer.

De fait, c'était dépolitiser ces bases de formation dont la direction devenait un poste très convoité puisqu'on était la cible de toutes les attentions des partis opposés qui voulaient tous un réservoir de troupes. Le roi, théoriquement le patron, ne pouvait tout contrôler, et certainement pas l'honnêteté des hommes à qui il confiait les enseignes, dans une France féodale ou un Grand du Royaume est une vraie entité géopolitique avec des ressources qui, si elles ne sont pas celles de l'Etat (du moins quand il est en ordre), lui permettent néanmoins de faire la guerre, d'entretenir de gigantesques réseaux humains, de traiter avec des chefs d'Etat.... Et ce plus encore pendant les guerres de religion où l'on voit les Grands se polariser en 2 partis et concentrer leurs moyens tout en se partageant les revenus d'un Etat en partie hors de contrôle du roi.

Bref, la conversion des enseignes en régiments, c'est enlever la politique de l'équation, faire d'une base une unité et faire de son chef un pur opérationnel et non un politique ou un simple corrompu. Dès lors, l'organisation change: l'unité de base est plus grande (sans doute autour de 2000h), les subdivisions prennent un échelon intermédiaire, le bataillon, et il faut penser les méthodes de déploiement, de mouvement, de disposition et de combat qui vont avec ce nouveau statut.

les Espagnols ont du faire de même quand la répartition administrative des troupes en Italie, une vingtaine d'années plus tôt, a créé trois armées relativement équivalentes dont il a fallu penser le dispositif de déploiement individuel. C'est ce qu'a fait Gonzalvo de Cordoba en organisant le combat groupé des différentes bandas (équivalent de nos bandes) de piquiers, d'arquebusiers et de rodoleros.

Note: tout le monde n'est pas familier avec la hiérarchie des grades à l'ancienne, je peux faire des rappels. Certains ont disparu, d'autres ont évolué, d'autres encore ont fusionné (le lance corporal britannique, par exemple, est une fusion des anspessades et caporaux de premier rang).

L'anspessade (ou lancepessade, lanspessade, ancepessade) vient de l'italien lancia spezzata (lance brisée) et désigne les soldats vétérans s'étant distingués au combat; ils sont alors sortis du rang et placés en réserve de l'officier commandant leur unité, comme unité d'élite ou d'appoint quand ça chauffe, mais aussi comme aide à l'encadrement. C'était aussi un moyen de recaser des cavaliers, surtout les chevau-légers, dont le vaval avait été tué, et qui devaient attendre le remplacement très longtemps (sauf s'ils avaient les moyens de s'en repayer un); ils assuraient un petit volant de réserve aux fantassins.

Les Grenadiers et Voltigeurs prendront un temps ce rôle avant de devenir des unités à part entière. Aujourd'hui, on ne le devinerait pas, mais ils existent encore: ce sont les 1ère classe en France, et les Private First Class aux USA.

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Pour ceux que ça peut intéresser, j'ai de la docu sur des sujets pas spontanément abordés sur les armées de ce temps et les changements dans les façons de penser la guerre. A la louche, quelques amorces rapides:

- A partir de Louix XI, l'armée permanente atteint les 40 à 45 000h tout confondus (en temps de guerre, il faut y ajouter la mobilisation des milices, du ban et de l'arrière ban, et le recrutement de mercenaires éventuellement); cet effort est alors surdimensionné, et Charles VIII et Louis XII le font baisser, trop sans doute. Mais à partir des années 1510-1520, il devient quasi permanent et le total maximal augmente sous Henri II. Mais il faut souligner en outre que ce chiffre doit être doublé, car il ne s'agit que des combattants: ces guerres modernes de campagnes longues et lointaines, avec des armées nécessitant plus de matériel dans des territoires disposant de peu de surplus alimentaires imposent une logistique qu'on n'évoque jamais. Mais qui sait combien d'animaux de bât sont nécessaires pour de telles armées? Quelques chiffres pour illustrer: en 1490, l'artillerie de campagne compte 150 pièces (5 bandes), et les 75 tonnes de poudre dont elle a besoin nécessitent un charroi de près de 100 chariots (400 chevaux). Il faut y ajouter celui des boulets (qu'on ne taille plus en pierre sur place), celui du fourrage des bêtes, celui des vivres des hommes.... Le Maréchal d'Esquedres, papa de l'infanterie des bandes de Picardie, avait mené en Flandres une bande d'artillerie de 35 pièces, dont le déplacement nécessitait plus de 1000 chevaux. L'unité de compte logistique, à partir de Louis XI et jusqu'à Napoléon, c'est le chariot à 4 roues et 4 chevaux (1 tonne de capacité, grosso merdo).

- l'artillerie est l'arme de la révolution de l'organisation militaire: par son coût, son appel à des savoirs-faires développés et des matières stratégiques pas si répandues, sa complexité, ses contraintes.... Les seules bandes d'artillerie permanentes en France sous Charles VII et Louis XI sont celle des Frères Bureaux, puis celle de Géraud de Saman, à côté des bandes mobilisées au sein des arsenaux: quel développement cela a t-il entraîné? Il faut aussi pouvoir se rendre compte de ce qu'implique l'artillerie en termes de coûts, de réserves et de mobilisation, au-delà des bandes qui accompagnent les armées de manoeuvre. Un exemple: la seule frontière nord de 1544, c'est 300 pièces d'artillerie (1 tonne en moyenne) avec 25 000 boulets et 100 tonnes de poudre en réserve, et une commande royale de 170 pièces supplémentaires, 24 000 boulets et 150 tonnes de poudre en plus.

- les calculs de distances et "l'espace temps" militaire de l'époque: il faut multiplier les distances par 20 pour pouvoir penser en homme des XVème-XVIIème siècle. Si les Flandres bourguignonnes puis habsbourgeoises sont à 140 bornes de Paris et que la France est encerclée par le "chemin de ronde" des Habsbourgs, il faut multiplier cette distance par 20 pour comprendre les difficultés qui restent à mettre en danger le roi de France. Le calcul logistique existe bel et bien et détermine les capacités d'opérations, et donc de politique

- les entiments nationaux et leur impact sur la motivation, la capacité de mobilisation, la "docilité" à payer l'impôt

- les ordres de grandeurs de ressources nationales en termes de potentiel militaire: recettes fiscales, capacités de recrutement, ressources en matières stratégiques (fer, souffre, salpêtre, charbon)

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On en a un bel exemple cinématographique à la fin de Capitaine Allatriste.

C'est pas exactement ça: ce qu'on voit dans le film est un affrontement de formations de piques plutôt normal: les piquiers essaient de se moucher individuellement et de maintenir la formation et l'alignement des piques en attendant que la ligne adverse flanche en un point. Les "enfants perdus", sous la ligne de piques, essaient d'aller trancher les jarrets ou planter le bas-ventre des hommes du 1er rang d'en face, mais passent évidemment le plus clair de leur temps à se friter à 4 pattes entre eux.

Le "push of pike" est une monstruosité qui a disparu à l'époque de la bataille de Rocroi, et on ne l' en fait vue quasiment qu'à l'occasion des guerres d'Italie. C'est avant tout la marque de fabrique initiale des Suisses, et leur tactique déployée depuis la 2ème moitié du XVème siècle, redoutablement efficace et sans parade initialement parce qu'aucune formation équivalente n'existe en face: donc ils faisaient un push of pikes, mais contre des infanteries non regroupées en phalanges massives en mouvement et ne pratiquant pas un tel combat groupé de grandes piques. Le résultat était meurtrier mais uniquement sur les premiers rangs.

Seulement, dans les guerres d'Italie, tout le monde s'est mis à pratiquer, avec diverses variantes, ce genre de combat, et au premier rang les lansquenets allemands, qui ont tout pompé des Suisses et commençaient à leur piquer aussi beaucoup de contrats (condotta) car ils n'avaient pas les mêmes restrictions légales qui commencèrent à tenir les cantons suisses (dont les mercenaires, vers la fin du 1er tiers du XVIème siècle, ne pouvaient plus avoir de contrat qu'avec le roi de France) et qu'ils étaient moins chers, et rapidement plus abondants.

Les Espagnols et les Français s'y sont aussi mis, mais la particularité supplémentaire entre lansquenets et Suisses est que rapidement s'est installé entre eux une haine radicale, dont témoigne l'absence totale de pitié après une bataille, où les mercenaires vainqueurs étripaient les mercenaires prisonniers (concurrence non règlementée  :lol:) sans même voir s'il y avait moyen de rançon, et engageaient la poursuite même si ce n'était pas utile. Le massacre était recherché entre Suisses et Allemands, officiers compris (alors que prisonniers, ils valaient cher).

Le push of pike correspond à ce climat: ce sont les deux formations pike and shot qui oublient la phase shot et se ruent l'une sur l'autre, sans restriction. on est homme contre homme, les lances sont emmêlées, les formations imbriquées, les rangs compactés.... Et le taux de mortalité est proprement affolant: la bataille de Cérisoles en est un exemple, de même que la bataille de Ravennes en 1512. Rien que pour que les formations arrivent à ce degré d'imbrication, un quart des 2 effectifs a du déjà y passer, même si pas mal d'entre eux restent debout tant la masse est compacte. Ca sent la tripe et la sueur, et on marche (plutôt, on fait du sur place) dans le sang et les cadavres.

Comme dans les affrontements de phalanges, les rangs se tiennent les uns les autres et les 2 formations poussent de toute la profondeur de leurs colonnes, ce qui aboutit au résultat que le tout opère une lente rotation en sens inverse des aiguilles d'une montre, la poussée n'étant pas exactement vers l'avant. On déporte en moyenne toujours un peu vers la droite et on pousse toujours un peu plus vers la gauche, étant donné que la pique est tenue à droit: c'est ce qu'on appelait avant "le sens du bouclier" (quand il y en avait un).

Et dans toute cette presse, les mecs au milieu n'en mènent pas large et doivent essayer de dégainer un couteau pour étriper de tout près, au milieu des masses de piques qui pointent dans tous les sens, y compris vers le haut, au milieu du pack, là où la pression est maximale.

A ce moment, c'est à qui craque le premier; il peut suffire qu'on homme flanche au mauvais endroit pour que la pression ne suffise plus: le mouvement s'accélère, un espace se recrée avec une formation qui a l'avantage, et là le massacre s'accélère.

On essaie généralement d'éviter ça, côté commandement, car même la formation qui gagne en a pris plein la gueule.

Dans Capitaine Alatriste, on a un affrontement de piquiers nettement plus civilisé: c'est en formations maîtrisées, et rien de décisif n'est lancé tant qu'on n'a pas une ouverture (ce qui n'arrive pas à l'écran). D'autant plus qu'à cette époque, la proportion de piquiers a nettement baissé, et les cadences de tir des arquebusiers et mousquetaires se sont accélérées (même si c'est pas encore fabuleux).

Pour la rubrique du pinailleur, quelques regrets technique de cette partie du film:

- les drapeaux de tercios et de régiments sont peints: ça fait cheap pour ces emblèmes normalement cousus (assemblés) ou brodés, ce qui ajoutait à leur importance et à la fierté qu'ils véhiculaient.

- le combat se passe sous les murs d'une ville (Rocroi on suppose), alors qu'il était dans une plaine (ce qui a d'ailleurs précisément permis à Condé de se la jouer Hannibal avec son contournement)

- on a l'impression qu'il ne reste que le tercio de Carthagène; et le carré doit pas avoir plus de 300h à tout péter: techniquement possible, mais à ce compte, il n'aurait suffit que de quelques salves de canons. Et contrairement à Turenne, Condé cherchait l'anéantissement d'emblée

- les formations de piquiers, en tout cas côté français, devraient avoir des piques longues (arme d'arrêt et de combat d'infanterie) et des hallebardes sur les flancs (arme de combat d'infanterie et faite pour écharper la cavalerie qui passe sur le côté)

- les tercios ont leurs drapeaux individuels, mais côté français, on n'a que la bannière de France et le drapeau de St Martin (la croix blanche sur fond bleu), emblème général de l'armée. Les régiments ont queud'chi  :'(.

- les Français sont quasiment en uniforme, chose qui n'arrivera, lentement, que 20 ans plus tard. A cette époque, seule l'armée suédoise a un semblant d'uniforme

- les cavaliers français portent des casques à panaches particulièrement ridicules (un genre de salade ou de morion renforcé à l'espagnole, avec un panache par-dessus): à cette époque, le seul élément d'armure qui demeure, c'est le corselet, ce reste de cuirasse qui sert de plastron.

Mais je pinaille, les déploiements, en tout cas côté espagnol, sont corrects: en carré massif, avec les mousquetaires au centre quand la cavalerie charge, et déploiement de ces derniers sur 3 lignes au premier rang (ils passent par l'ouverture des rangs de piquiers) quand elle retraite et quand l'infanterie adverse commence à avancer. Côté français, on voit pas grand chose pour l'infanterie; les cavaliers sont un peu plus mis en évidence, avec des pistolets brandis. A cette époque, l'usage commence à disparaître: les cavaliers déchargent leurs pistolets en approchant au pas, mais n'exécutent plus ensuite la caracole pour recharger alors qu'un autre rang de cavaliers les remplacent. Ils s'avancent, tirent, puis chargent, ou flanquent.

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C'est ce que je disais dans l'autre toic, beaucoup d'argent pour des navets, mais quand on a un film original qui se demarque un pe des autres, il en manque. Et la fin de ce film est un peu baclee. On dirait une compagnie vs un escadron de cavalerie au lieu ds milliers d'hommes qu'il y avait reelement.

Auraient pu mieux faire pour le bruit des mousquets.

Par contre je trouve la version espagnole beaucoup mieux au niveau des bruitages qui ont quasiment disparus dans la version francaise (notamment au moment de la melee de piques ou on entend pas enormement de cris par rapport a l'autre version)

Dans la verson spanish on entend pas mal de hijo de p... qui mettent un peu d'ambiance  :lol:

Par contre les uniformes et armures font tres reels, en comparaison d'autres films ou on dirait qu'ils sont en plastic et carton pate. =D

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Déconne pas pour les armures, les Ricains font des armures en carton pâte quand ils n'ont pas de budget, c'est-à-dire quand le film a moins de 50 millions  :lol:.

Cela dit, le syndrôme des mauvaises armures à l'écran, c'est pas tant le carton pâte que le syndrôme armure chromée façon calandre de bagnole tunée. Boorman est le seul à l'avoir fait dans Excalibur (à côté d'armures cradasses), mais c'est voulu pour la symbolique qui est l'axe du film. LE horreurs comme Lancelot avec Richard Gere n'ont pas cette excuse. Kingdom of Heaven a heureusement des armures correctes, comme Chevalier (con, mais marrant), de même que, sur les guerres d'Itlaie, le récent Le métier des armes, sur la mort de Jean de Médicis (un peu longuet, mais très bon), ou Sans Peur et sans Reproches (mon préféré  :lol:).

Heureusement pour moi avec Alatriste, apparemment, j'ai que la version espagnole avec ses Hijo de Puta à répétition  :lol:. On eut néanmoins pu souhaiter plus de variété dans les jurons.

Le problème côté français, c'est précisément qu'il n'y avait pas d'uniforme; et les casques sont des salades à l'espagnole que les piquiers français ne portaient pas. Sans compter les cavaliers avec leurs ridicules casques à cimier (qui ressemblent beaucoupà celui de Charles Quint sur un de ses portraits).

Mais côté tactique, le tercio espagnol, ou plutôt les 300h qui ont l'air de rester, suit l'organisation historique: les arquebusiers se déploient en tirailleurs devant les piquiers qui ouvrent les rangs pour les laisser passer, et retournent dans le carré quand l'infanterie adverse attaque, après avoir lâché une volée (la recharge est lente sur une arquebuse).

Mais la formation d'infanterie et la charge de cavalerie française, là, c'est du n'importe quoi: la cavalerie sait depuis les Guerres de Bourgogne que la charge frontale ne se fait plus contre une formation de piquiers, du moins pas à froid. Il faut travailler au canon et/ou à l'arquebuse et attendre de voir si un point de la ligne faiblit. Sinon, la charge, et particulièrement à Rocroi, se fait sur les flancs ou sur les arrières.

La cavalerie de choc, à cette époque, n'a plus de lance pour la rupture (et ce jusqu'à Napoléon) en Europe de l'ouest. Les cavaliers eux-mêmes n'ont plus que le corselet comme armure (le plastron) et encore est-il déjà largement tombé en désuétude. L'armement consiste en 2 pistolets, déchargés au pas avant la charge, et le braquemart (pas de mauvais esprit): une épée lourde à mi-cemin entre l'épée longue médiévale et la rapière du XVIème siècle. C'est, comme le sabre de cavalerie (que Turenne commencera à répandre après l'avoir vu en action dans les units de cavalerie légère croates, grecques, hongroises et albanaises), une arme longue et mal équilibrée pour le combat à pied (avec beaucoup de poids dans la pointe pour l'impact donné de haut), mais bonne pour la mêlée et la charge. Mais elle manque d'allonge, ce qui témoigne du renoncement à la charge de front.

L'infanterie française à l'époque, est rangée en ligne, sauf pour l'attaque, où les piquiers forment des groupes de phalanges (plusieurs par régiment: généralement 2, qui sont en fait le signe de l'évolution vers les bataillons). Les mousquetaires donnent le ton pour les autres formations, à savoir l'évolution vers l'ordre mince et allongé de la ligne de bataille, moins pour maximiser la puissance de feu que pour limiter les dégâts face aux tirs de l'artillerie.

C'est précisément le signe de l'inadaptation des tercios avec leur formation en carré, qui commence à tomber en désuétude face à l'artillerie dont les cadences de tir et la quantité sur les champs de bataille ont fortement augmenté. Un tir dans l'axe ravage toute une colonne. Ce carré est la force du Tercios, mais il est donc aussi sa faiblesse face aux évolutions de la guerre à cette époque:

- face aux développements qualitatifs et quantitatifs de l'artillerie, il est la cause de rythmes d'attrition problématiques

- c'est une formation défensive et peu souple d'emploi sur un champ de bataille qui devient de plus en plus, en raison de l'artillerie et de ses conséquences, mais aussi des évolutions de la cavalerie, un champ de manoeuvres plus vaste et plus complexes. Le dispositif de bataille s'étend en longueur, et chaque élément doit pouvoir aller en soutenir rapidement un autre, ou bouger vite pour se porter rapidement au contact d'un point du front adverse qui faiblit. Le Tercio, du moins les Tercios Viejos (on parle des professionnels: quel que soit la formation ou le dispositif tactique d'une armée, les recrues fraïches ne foutent rien de bon  :lol:) est avant tout une formation de défense inébranlable ou d'attaque frontale. Une formation lourde, compacte et nombreuse est toujours moins mobile car sa cohésion est plus dure à garder.

- à l'échelon opérationnel, les armées espagnoles de ce temps, comme les armées hollandaises, sont beaucoup plus lentes et plus dures à manoeuvrer en ordre de marche, en partie en raison de formations plus lourdes, mais aussi en raison d'un bagage plus important (il faut plus d'étapes, plus de planification, plus de protection, donc plus de prudence et plus de temps).

Les armées françaises et suédoises sont alors le contre-modèle: formations plus légères et manoeuvrières, bagages moins conséquents, armées plus réduites et articulées. Cette évolution en France a commencé à partir d'Henri II et de la formation des régiments par oppositions aux vieilles enseignes, si bien qu'un siècle après la formation de l'infanterie permanente par les Suisses, les Suisses n'ont plus fait que fournir des recrues à des unités françaises.

Les Suisses ont foiré l'évolution de l'infanterie pendant et après les guerres d'Italie: adoption de l'arme à feu en proportion importante plus tard, peu de conception organique de l'emploi des 2 armes.... Et ce malgré leurs déboires face aux infanteries espagnoles et allemandes, en position retranchée (comme à Bicocca) ou en combat combiné. L'orgueil, l'esprit de corps.... De même, le combat articulé, ils ne s'y sont pas fait, préférant la grosse phalange massive.

De même, les tercios ont connu une évolution particulière liée à leur principal théâtre d'opérations: les Pays-Bas. Le modèle s'est avant tout adapté à la guerre statique, à la guerre de places et de sièges bien illustrée par Perez Reverte dans Le soleil de Breda: peu de batailles, théâtre d'opérations réduit, lignes de ravitaillement courtes.... Les Hollandais ont eu nécessairement la même adaptation, les leçons de Maurice de Nassau concernant surtout la formation de l'infanterie et de l'artillerie et leur emploi.

La formation du tercio, c'est avant tout un carré défensif massif, peu pénétrable aux attaques d'infanterie et de cavalerie (s'il s'agit de bonnes troupes, comme dans les Tercios Viejos), avec une ligne de tirailleurs devant qui se retranche dans le carré, ou encore quatre paquets de tirailleurs aux 4 coins en cas d'encerclement. Un ordre difficile à maintenir en mouvement, surtout rapide.

L'école française, surtout via Turenne, a connu la même évolution que les armées suédoises de Gustave Adolphe: une cavalerie de manoeuvre, allégée (ça, c'était depuis Henri IV qui affectionnait la charge dite "en chevau-légers"), un bagage réduit (Turenne insistait dessus), des formations d'infanterie plus légères et articulées (en compagnies, puis en bataillons), une artillerie mobile et une grande place à la guerre de mouvement, aux niveau opérationnel et tactique.

Turenne, Gustave Adolphe, Condé, Bernard de Saxe-Weimar et Montecuccoli sont les hommes de ce modèle de guerre qui est avant tout celle du théâtre d'Allemagne, plus vaste et plus dévasté.

La guerre des Pays Bas est différente et suit autant la nature du théâtre que les objectifs stratégiques assignés par le haut: la conquête des villes, permanente, les garnisons importantes.... C'est encore la guerre du XVIème siècle par bien des aspects: les quelques grandes batailles ont lieu à proximité des villes et correspondent surtout à des attaques d'armée allant commencer un siège ou étant en train de le faire.

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dis moi tancréde , quand tu parles de phalanges pour les Suisses, c'est pour l'image ou tu parles vraiment de vrai phalange à la mode macédonienne ?

car il me semblait me souvenir que la phalange macédonienne est en rectangle ( sur 16 ou 32 rangs ) alors que celle suisse est bien plus un carré trés profonds

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En fait, les historiens militaires l'appellent phalange, mais je ne sais pas si c'est par commodité; je pense que si. Mais il faut nuancer, car le "carré", dans ces unités, est en revanche un sous-groupement authentique de l'ordre de la compagnie. J'utilise le terme de phalange pour sa puissance d'évocation (ça simplifie les posts  ;)). La phalange macédonienne est en effet une formation très spécifique née de l'adoption du modèle grec (avec l'innovation de la sarisse), mais à une échelle nettement plus grande, nécessitant une organisation à grande échelle et donc une division en unités homogènes d'autant plus importantes que Philippe de Macédoine, et avec lui son glorieux rejeton, mettent au point un combat très articulé et totalement interarme (contrairement aux évolutions ultérieures du modèle macédonien) issu autant des innovations personnelles du souverain que des leçons de la guerre de Péloponèse et des conflits inter-cités qui ont suivi.

L'ordre de bataille qui en résulte implique ainsi des phalanges de 1500h environs, répartis généralement sur 16 rangs, surtout par Alexandre qui fait face à des armées plus nombreuses et doit donc étendre sa ligne de bataille. Ca donne une unité qui doit bien faire ses 100 à 120m de front. A Gaugamèles comme au Granique, il en aligne ainsi 6 qui constituent la ligne principale, avec les hoplites alliés en réserve et formés, eux, inégalement en groupements de Cités. Avec les intervalles remplis par les frondeurs, archers, lanceurs de javelots et quelques fantassins légers, le tout doit bien représenter dans les 650 à 770m de front, plus le dispositif complexe de l'aile droite, vu surtout à Gaugamèles.

Les Suisses sont ultra serrés, en ordre compact, rangés pour des batailles qui, au XVIème siècle, durent en fait très peu de temps: ils avancent ainsi ou se mettent en défense, et avant l'arrivée d'armes à feu en grand nombre (et ayant une efficacité correcte) dans l'ordre de bataille, ils sont virtuellement instoppables. Mais c'est du coup un front très réduit, qui correspond en fait à un ordre de bataille encore très médiéval et peut articulé: s'il y a bien un centre et deux ailes, en général, cela correpond toujours surtout à l'ordre de marche (avant-garde, centre, arrière-garde). Sur le plan opérationnel, ces 3 corps sont virtuellement indépendants pendant la bataille, sauf vers la fin. Une bataille, et c'est cela qui change lentement vers la fin des Guerres d'Italie et surtout après, c'est en fait 3 sous-batailles: les ailes les unes contre les autres, les centres l'un contre l'autre, et tout le monde attaque. On ne choisit pas de faire bloquer un des 3 en le mettant en défense pour fixer et en le dégarnissant pour aller renforcer une aile, ce qui est une des tactiques les plus simples et courante dans l'Antiquité. Le premier corps qui craque cède la place, et celui qui l'a craqué se porte rarement à l'aide des autres et va plutôt poursuivre son antagoniste, ne revenant aider que si la poursuite foire ou s'il l'annihile, ce qui explique des batailles souvent très décousues. Conjugué aux cadences lentes de l'artillerie au XVIème siècle, cela encourage en fait le choc (ou plutôt les 3 chocs séparés) direct.

D'ailleurs, on garde le vocable médiéval: ces 3 éléments d'armée sont encore appelé des "batailles", quoiqu'on commence à employer le terme de "bataillon" (la bataille étant la totalité de l'armée), mais qui définit en fait ce corps composite, aile ou centre. Et chacun est composé de manière individuelle, avec de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie.

Mais le choc, aux XVème-XVIème siècle, devient très rapide et intense, et très meurtrier, et ce d'autant plus que la taille des armées augmente. Si on ajoute en plus des haines particulières, comme entre les Suisses et les Allemands, on obtient des taux de mortalité qui paraissent hallucinants aux homes de l'époque.

L'ordre suisse est rarement un carré, et la forme générale importe en fait peu: c'est un agglomérat de carrés ordonnancés selon l'ordre de bataille. Mais vu les effectifs concernés (on est rarement en-dessous des 4 à 5000h), cela compte peu, car de toute façon, il s'agit d'une formation très nombreuse et effectivement très profonde, dont la puissance de choc dépend en grande partie de cette agglomération sur un grand nombre de rangs. Le push of pike, ravageur et absurde, est la conséquence directe la plus extrême de cette doctrine entre deux formations analogues ayant la même tactique et le même niveau de confiance en soi, voire dans le cas suisse, d'orgueil démesuré des officiers.

Blaise de Monluc confirme la brièveté de ces engagements quand ces phalanges sont lancées: il suffit de quelques minutes pour qu'une des 2 formations craque.

Il faut noter les nuances du modèle suisse, d'abord parce qu'il y eut 2 époques: d'abord, celle du XVème siècle qui fut celle des cantons suisses, puis celle des mercenaires, pendant les Guerres d'Italie. C'est dans la première période que leur réputation se fait, notamment dans les Guerres de Bourgogne, et la doctrine n'est absolument pas celle qu'on connaît plus tard: les carrés sont avant tout des milices de cantons, soudées par l'esprit de corps et de lutte commune, et pratiquant un combat très mobile rendu possible par un très haut degré de cohésion. Ce sont donc plusieurs phalanges (3, voire 4) qu'on voit se déployer sur le champ de bataille et rechercher le contact. Mais ces 3 masses manoeuvrent sur le champ de bataille, dans de vraies tactiques de déploiements coordonnés (par signaux et par coureurs).

En Italie, ce sont des mercenaires qui ne répètent que partiellement le modèle et connaissent plusieurs évolutions, l'esprit de corps étant différent et se teintant d'un orgueil poussé jusqu'à l'absurde. Mais ce modèle "professionnel" devient aussi infiniment plus lourd et statique: les Suisses avancent en colonnes massives et groupées pour l'ordre de marche, parfois 2 mais plus généralement une seule, et en ordre de bataille, ils restent agglomérés. Ils ne recherchent plus que le choc direct et frontal, comme une spécialisation par rapport au modèle précédent. C'est en partie une évolution naturelle et une évolution contrainte par le fait qu'il s'agit d'unités de mercenaires entrant désormais dans des armées composites là où les armées des cantons suisses étaient sans artillerie et sans cavalerie (ou presque). Ils constituaient alors la totalité de l'ordre de bataille suisse.

En Italie, c'est une vraie spécialisation à laquelle on assiste, pour correspondre à un créneau de marché recherché par les souverains européens  ;). L'artillerie, il y en a, de l'infanterie d'assaut, il y en a, de la cavalerie, il y en a, mais de l'infanterie "de ligne" on en manque et on n'en a jamais assez. C'est d'ailleurs un phénomène auto-alimenté: plus on a d'infanterie de piquiers, plus l'attrition est énorme, et donc plus il faut en recruter pour maximiser ces chances de décision  :lol:.

Les mercenaires suisses en Italie sont d'ailleurs aussi plus lourds et cuirassés, là où les piquiers des cantons ne l'étaient pas. Encore une fois, ils étaient plus mobiles et plus aptes au mouvement, devant tout faire dans la bataille. Mais on constate aussi leur spécificité: les 2 modèles ont toujours intégré des tireurs, arbalétriers (naturellement en Suisse  :lol:; mais pas de pommes), puis, lentement et bien plus tard, arquebusiers, mais ils étaient peu nombreux. Leur rôle était en fait celui d'infanterie de harcèlement initial limité, et l'est resté. En conséquence, et c'est aussi sans doute lié à l'extrême confiance-orgueil des Suisses, constitutif de leur esprit de corps, leur proportion est toujours restée très basse, à la limite de l'anecdotique, ce qui a rapidement amené le déclin suisse face à des armées européennes évoluant plus rapidement.

Leurs grands rivaux, les lansquenets allemands, dont l'efficacité en tant que piquiers n'a jamais atteint celle des Suisses, se sont en revanche bien adaptés au combat Pike and Shot, si bien qu'ils ont fini par surpasser les Suisses. Initialement, les lansquenets sont surtout des mercenaires souabes qui ont copié le modèle suisse, mais en ont copié d'autres ensuite en Italie. C'est une véritable concurrence commerciale à laquelle on assiste entre ces 2 grandes "entreprises", le modèle industriel allemand s'adaptant plus vite et mieux en s'inspirant des exemples rencontrés sur le marché italien.

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tiens un point sur lequel tu pourras me répondre : "l'abandon" de la hallebarde ( et des armes similaires de contact ) pour la pique, c'est avant ou après les guerres contre Charles le Téméraire ? ( j'avoue un gros trou de mémoire car j'ai du le savoir à un moment  :lol:  )

pour revenir à ton sujet proprement dit, il me semble qu'avant le Tercio, les espagnols ont conservé dans leur organisation militaire des combattants à base d'épée redoutables ( à certaines occasions ) contre une "phalange" comme l'ont pu l'être les romains quand ils étaient au corps à corps face aux unités des diadoques

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Il faut (avoir le courage de) me lire, avant de poser ces questions: les réponses sont plus haut  :lol:.

La hallebarde n'est pas abandonnée avant Louvois, mais elle est ramenée à une place précise dans l'ordre des piquiers: les hallebardiers sont placés sur les coins des carrés de piquiers, car ils ont une bonne efficacité offensive contre la cavalerie. Ils tronçonnent le flanc des cavaliers qui passent, et les jambes des chevaux comme des cavaliers. La pique est uniquement une arme d'arrêt et de percée frontale. En moyenne, tu peux compter au XVIème siècle 15 à 20% de hallebardiers dans le total de l'infanterie de pique, qui elle-même varie de 3h pour 5 fantassins (jusqu'à 4,5 pour 5 chez les Suisses) au XVIème siècle, à 1h pour 3 fantassins au XVIIème (presque 1 pour 2 chez les Espagnols), en moyenne.

L'abandon de la pique (encore une fois c'est plus haut) est total en 1708 dans l'armée française. 1693 est la date de la première charge à la baïonnette de l'Histoire; introduite par Vauban peu avant, cela indique le temps de transition (phase d'équipement total, d'entraînement, de prise d'habitude, de lutte contre les conservatismes, d'expérimentation car il faut vraiment être sûr qu'en bataille, en moyenne, c'est si pertinent....), alors pourtant qu'on est, entre 1689 et 1713, dans une période de guerre totale avec seulement 2 ans de paix entre 1689 et 1701.

Guibert, dans les années 1720-1740, regrette encore la pique et préconise son retour pour une doctrine de choc, tant les résultats des tirs de salve en ligne l'impressionnent peu.

Les unités espagnoles à l'épée sont les rondeleros, sorte d'infanterie d'assaut avec épée et bouclier (d'où ils tirent leur nom), mais leur efficacité est toute relative et ne marche que contre une pahlange très affaiblie ou à la base pas très cohérente. Il y eut en fait très peu d'occasions où ils s'avérèrent pertinents dans l'ordre de bataille des tercios. Ils furent rapidement supprimés dans les années 1510. Ceci dit, ce sont essentiellement des rondeleros qui firent la conquête des Amériques, où les piquiers suisses, allemands, italiens et français manquaient à l'ordre de bataille adverse  :lol:. Les conquistadors sont assez peu des piquiers.

C'est un autre sujet, et je crois que je l'ai évoqué ailleurs, mais il faut aussi sérieusement relativiser la vision qu'on a de la "supériorité" du modèle romain sur le modèle grec.

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Beaucoup de gens voient les tercios comme des carres massifs d'infanterie, alors qu'ils pouvaient adopter une multitude de formations(on en voit un certain nombre en schema sur le site que je t'avais passe Tancrede). Le plus souvent, c'etait des mangas d'arquebusiers et mousquetaires qui engageaient l'ennemi appuyees par des piquiers, et non l'inverse. Ils etaient egalement transporte a dos de cavalier jusqu'a l'ennemi.

Il n'y a qu'a voir comment ont ete gagnees les grandes victoires espagnoles de cette periode, Mulhberg, Gembloux, Jemmingen, Bicoque, Cerignole et même Pavie.

De memoire il n'y a que Nordlingen ou les carres espagnols repoussent les 15 assauts de l'infanterie et cavalerie suedoise en formation massive.

Cetaines personne (dont je fais partie), voit les arquebusiers espagnols comme les ancetres des voltigeurs de la periode Napoleonienne. Au tout au moins comme les precurseurs de l'infanterie legere.

Pardon pour l'ortho mais je ne suis pas chez moi et ce clavier ne me convient pas tout a fait.  :lol:

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Comme pour toutes les unités, il ne faut pas voir le tercio comme une formation bloquée pendant un siècle, et il faut aussi le voir dans le cadre de l'armée espagnole entière, surtout à partir du XVIIème siècle et pendant la guerre de Trente Ans, où la guerre devient une guerre de manoeuvre. De même, il ne faut pas réfélchir en termes de "meilleur" système pour telle ou telle armée. Le fait est que l'on peut avoir inventé la meilleure formation par rapport à son temps, et la voir se faire démolir en bataille pour mille raisons: commandement merdique, ou plus simplement un commandement qui est battu un jour précis (sans être mauvais dans l'absolu), meilleur emploi des armes combinées par un des protagonistes, mauvaise qualité des hommes, mauvaises circonstances....

Le fait est que les manoeuvres complexes envisagées par le tercio ne sont logiquement accessibles qu'aux tercios viejos, tout comme dans l'infanterie française, seules les vieilles enseignes gardaient les hommes capables et le savoir-faire nécessaire pour opérer des manoeuvres poussées sous le feu.

On est encore dans le cadre d'Etat ayant des moyens limités, et une conception très partielle de ce que nous considérons aujourd'hui comme acquis dans la discipline et l'organisation militaire. Les troupes permanentes (ou presque) et professionnelles sont rares en temps de paix. L'Espagne offre un cas en partie particulier tant elle a du maintenir des troupes combattantes sur le pied de guerre dans les Flandres, offrant un volant de soldats expérimentés plus important, ce qui a aussi concouru à l'épuiser.

Mais les formations multiples auxquelles tu fais référence dans les batailles décrites correspondent aux guerres d'Italie pour l'essentiel. Pavie notamment, se déroule 10 ans avant la création des tercios, qui ne sont en tant que tels dans un premier temps qu'une organisation administrative des effectifs espagnols en Italie. Avant 1534, l'organisation de l'infanterie espagnole repose sur les capitanias, correspondant grosso merdo à nos compagnies, ou plutôt dans l'organisation opérationnelle à nos bandes. Leur format est graduellement harmonisé par Gonzalve de Cordoue, autour de 300h, soit à la louche l'équivalent des vieilles bandes françaises.

Elles se répartissent à la suisse, en groupant les armements: on a dans les capitanias des piquiers, des arquebusiers (qui remplacent graduellement les arbalétriers, donc pendant une vingtaine d'années, les 2 coexistent) et des rodeleros (jusqu'aux années 1520). Mais là, c'est un peu comme tout le monde, et il faudrait entrer dans le détail, et surtout les proportions des diverses armes, pour voir s'il y a des différences vraiment significatives de modèles entre les nations.

La vraie nouveauté, et c'est là que se bâtit l'apport espagnol, est l'organisation de ces capitanias en groupes plus larges, les coronelias (des colonnes, d'où vient le nom de colonel, à l'étymologie disputée entre Italiens et Espagnols), qui comportent chacune 4, 5 ou 6 capitanias. Contrairement aux vieilles enseignes qui sont des regoupements fixes liés à la formation et au recrutement, les coronelias sont des groupements opérationnels, avec un EM permanent et les moyens d'articuler le combat entre les capitanias subordonnées, soit un échelon intermédiaire entre le commandement de l'armée et l'unité de combat. Le combat peut mieux s'articuler, les unités s'appuyant entre elles.

C'est, en fait une copie améliorée du modèle suisse cantonal (pas le modèle mercenaire, voir la nuance plus haut), et un échelon de commandement que la France ne créera réellement que sous Henri II, avec la transformation progressive des vieilles enseignes en régiments opérationnels.

La création du tercio, comme celle des régiments, ne correspond pas en fait avant tout à un changement tactique ou opérationnel, mais à une mesure administrative et politique: on répartit en 3 paquets de 10-11 les capitanias d'infanterie espagnole en Italie. Les commandants chargés de ces groupements s'organisent donc en conséquence. Ces 3 "tercios" initiaux, comptant chacun dans les 2300 à 2500h, sont donc organisés en une coronelia permanente, avec ses capitanias et son EM organique disposant des moyens de contrôler en bataille ses sous-unités. A partir de là, le modèle évolue au fil des affrontements, des idées des chefs, des expériences, des changements techniques et technologiques, des restrictions de moyens.... Bref, une évolution militaire normale. L'autre particularité est que ces formations sont maintenues en permanence avec un effectif prêt à la guerre: on recrute plus quand la guerre est déclarée, mais ces formations sont l'armée outre mer de l'Espagne, dans une Italie qui reste longtemps une zone chaude. Et le front des Flandres pour la Guerre des 80 ans s'ouvre ensuite assez vite, obligeant à garder un noyau de troupes permanentes. C'est là que le nom de tercio, initialement administratif, finit par prendre le pas sur celui de coronelia, sans doute pour la même raison que nos vieilles bandes ont tenu à obtenir ce qualificatif les distinguant des troupes non permanentes en 1535.

Et ces 3 coronelias, vite rejointes par 3 autres, puis une septième, désormais appelées tercios en permanence (faudrait en fait voir comment le nom a pris au-delà de l'appellation administrative initiale; comment les hommes en viennent à adopter un nom est toujours un processus qui me fascine), deviennent en fait l'essentiel de l'armée permanente espagnole. En temps de paix, l'entretien de ces quelques tercios coûte plus d'un tiers du budget espagnol. Ca rappelle à quel point les Etats européens au XVIème siècle ont encore des possibilités limitées.

On peut regarder la composition d'un tercio comme de n'importe quelle unité, mais on n'aura en fait qu'une photo momentanée, un cliché qui ne vaut pas pour une période beaucoup plus longue qu'une vingtaine d'années. prenons exemple sur le tercio, à partir de sa création au moins administrative:

- dans un premier temps, à partir de 1534, le modèle se construit. Il comporte 10 capitanias, ou banderas, de 200 à 300h (les effectifs complets restant un mythe dans toutes les armées  :lol:), dont 2 faites uniquement d'arquebusiers et employées surtout comme infanterie légère organique (les voltigeurs auxquels Gran Capitan fait référence), et 8 mixant piquiers et arquebusiers. Chaque banderas a son EM (comme partout) d'une dizaine d'homme, et le tercio en a un plus étoffé d'une quarantaine d'hommes. Les subdivisions, en-dessous, restent classiques: banderas de 200-300h (compagnie)/escadres de 20 à 25h (comme en France, avec un Cap d'escadre, ou caporal; en Espagne, c'est le cabo)/camaradas (chambre chez nous) d'une douzaine d'hommes, cette dernière étant dirigée par un vétéran (anspessade chez nous). Le proportion piquier-arquebusiers est quasi équivalente, avec un poil plus de piquiers (à peine). Mais les piquiers sont de 2 types: les lourds qui sont sur l'extérieur (avec une demi-armure) et les légers, qui ont peu de protections.

- le modèle change dans les années 1560 sur le front des Flandres: la proportion de piquiers augmente nettement (apparemment pour des raisons budgétaires, l'augmentation des effectifs permanents étant massive) et le tercio comporte plus de subdivisions. On passe à 12 banderas d'un format plus réduit (250h dans la théorie, mais je doute que l'aspect d'une bandera ait nettement changé). On a plus de deux tiers de piquiers pour moins d'un tiers d'armes à feu.

- le tercio au début de la Guerre de Trente Ans est une autre évolution: les banderas sont désormais faites d'environs 1/3 de piquiers et 2/3 d'arquebusiers, et les tercios viejos (les tercios étrangers et temporaires ont un autre modèle) passent à 12 banderas de 250h.

- aux Pays-Bas, dans les années 1630, on passe à un tercio standardisé (viejos ou pas) de 13 banderas de piques (en fait 1/3 de piques, 2/3 d'arquebuses) et 2 d'arquebusiers qui, là encore, jouent les voltigeurs.

Il change encore après en s'alignant graduellement sur le régiment français subdivisé en bataillons et compagnies.

Mais tactiquement, je maintiens: pendant la Guerre de Trente Ans, c'est une formation lourde et lente, très forte en défensive mais moins adaptée au conflit mobile et au combat combiné. Pendant les guerres d'Italie, en revanche, l'apparition des coronelas en faisait une unité d'infanterie tactiquement mobile, articulée et offensive, par rapport aux phalanges mercenaires massives des Suisses (4 à 5000h) et lansquenets (on a vu un pack massif de lansquenets de 12 000h).

Au niveau opérationnel (la manoeuvre sur un théâtre d'opérations), on fait là appel à d'autres notions qui concerne l'unité, mais plus encore l'armée dans son entier, ses chefs, son organisation.... Sur ce plan, ce n'est pas la tactique de l'unité qui change quoi que ce soit. Quoiqu'évidemment, en ordre de marche, plus une unité est réduite, plus elle est maniable et souple d'emploi. Et donc plus une armée est sudivisée en grandes unités autonomes, plus elle est rapide, prête à la bataille et réactive. C'est ainsi que le bataillon et l'escadron sont nés en France, comme détachements de plus en plus permanents, notamment dans l'armée de Turenne, pour opérer des manoeuvres rapides quand 2 armées manoeuvraient. Turenne adorant les expéditions rapides et l'emploi de véritables commandos au niveau tactique (notamment dans les compagnies franches de chasseurs et coureurs), il n'a fait qu'employer la même méthode à plus grande échelle.

Les formations diverses que l'on peut voir une unité adopter ne font pas d'elle une unité mobile, au sens opérationnel. Au niveau tactique, évidemment, sur le champ de bataille, l'essentiel sur une infanterie est de savoir si elle a des soldats aguerris et entraînés, des commandants pas trop débiles et une organisation générale articulée au mieux des possibilités.

Brigade suédoise, régiments hollandais ou français, tercios espagnols.... Confronter tout ça dans le principe et l'absolu est évidemment stupide: les tercios n'étaient jamais à effectifs complets, tout comme les régiments adverses, et il est probable que les formations de la Guerre de Trente Ans, de part et d'autre, ne devaient avoir ni une taille impressionnante ni une bien belle figure. La différence est alors surtout faite par le matériel humain (entraînement, motivation, entretien), par l'utilisation conjointe des armes et par les chefs et capitaines.

Les formations en soi, quand on est entre des armées grosso merdo comparables, ne sont pas des martingales (elles peuvent l'être seulement dans des circonstances particulières, et si le modèle en face est réellement différent et moins pertinent): l'avantage en général des Suédois n'a pas résidé dans la brigade, mais dans le fait d'avoir un grand commandant (Gustave Adolphe) et surtout, d'avoir inventé un système de conscription efficace qui donnait à l'armée suédoise ce caractère unique en Europe de n'être pas fait de la lie de la société, mais bien des couches "normales" de gens issus de communautés paysannes, en moyenne des sujets plus robustes, mieux portants, moins mercenaires (et moins déserteurs), porteurs d'un certain degré de patriotisme, liés dans leurs unités par l'esprit de corps des communautés villageoises.... Bref, le meilleur matériau de recrutement possible, celui que tous les ministres ont toujours essayé d'attirer. Lié à un entraînement permanent, ce système devint un bon avantage. Les Hollandais ont pu faire de même, avec une guerre qui était une guerre patriotique, mobilisant plus que l'habituel vivier de recrues des armées. Avec là aussi un chef et penseur militaire d'envergure qui put mettre en place un système correct. Mais là, ce fut pour une guerre de place statique.

Initialement, en Espagne, c'est ce qu'est l'hidalguia pendant la Reconquista et encore au début du XVIème siècle, avant que l'infanterie espagnole devienne uniquement professionnelle. En France, ce genre de système n'existe qu'en Gascogne et sur les provinces frontières sensibles (Bourgogne, Champagne, Picardie, Artois). Ensuite, il faut attendre Louvois pour que ce vivier de recrutement puisse de nouveau être touché, avec les premières formes de conscription modernes.

La lenteur et la prudence opérationnelle de l'armée espagnole, c'est comme pour l'armée hollandaise, le stigmate de la guerre qui a été menée quasiment en continu dans les Pays-Bas: une guerre de places et de positions, où l'on utilise le sous-groupement mobile en abondance pour les escarmouches de tranchées (comme au début d'Alatriste) et les assauts, mais bien peu les unités en grand, au niveau du tercio ou du régiment, et encore moins l'armée entière. Il y a peu de manoeuvres, peu de batailles, et on opère tous à proximité de ses bases. L'organisation s'adapte donc à ce type de guerre.

Que les hommes soient aguerris, c'est certain. Pour les chefs, j'ai plus de doutes: faudrait se rendre compte que des mecs comme Turenne, un peu plus tard, ou Gustave Adolphe, Condé, Montecuccoli.... Sont des ovnis à l'époque; ils sont presque une sorte de première génération qui a connu beaucoup de batailles en plus des sièges. Avant la Guerre de Trente Ans, les généraux les plus actifs ont connu des dizaines de sièges, et quasiment aucune bataille. Une campagne, c'est pour l'essentiel une succession de sièges. Henri IV était une sorte de précurseur, lui qui recherchait plus la bataille que les sièges. Du coup, ce que les officiers transmettent comme expérience (y'a pas vraiment d'écoles militaires, malgré de nombreuses tentatives), c'est celle qu'ils ont eu. Et personne ne sait transmettre l'art de manier une armée.

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Je fais un encart particulier, à la limite du sujet, sur la fin de la période (je ferais aussi sur le début), avec la fin de l'ère de la pique et les arbitrages qui y ont présidé, car en effet, la question de la pique s'est posée tout au long du XVIIIème siècle et ce n'est pas vraiment une analyse d'efficacité qui a présidé au changement généralisé auquel on assiste en Europe à la fin du XVIIème siècle.

On peut y voir peut-être la première forme de processus institutionnel, et de la corruption moderne qui va avec, d'armement, si bien que regardé dans le détail, ce changement fondamental a des dynamiques qui ne nous sont absolument pas étrangères et qui ressemblent foutrement aux arbitrages légitimes, choix idéologiques et magouilles (chachées ou non) que nous critiquons abondamment sur ce forum sur les sujets d'actualité.

Ce n'est pas le sujet pour décrire la révolution militaire majeure qui arriva avec Louis XIV et les dynasties et clientèles de grands commis (les LeTellier et les Colbert) et généraux (les clans de Turenne et Condé) qui l'entouraient: on mesure mal à quel point l'Histoire militaire a changé par les changements qui arrivèrent, pour l'essentiel, entre les années 1660 et 1680. Songez, juste pour illustrer, qu'à l'époque de Richelieu, l'Etat avait du mal à mobiliser et armer en permanence 180 000 combattants (cavaliers, piquiers, canonniers, garnisons, milices et mousquetaires tous compris), effectif déjà énorme et inégalé en Europe: le recours aux importations d'armement était nécessaire, les artifices financiers hallucinants. Pendant la Guerre de Hollande, soit une quarantaine d'années plus tard, le pays mobilise et arme tout seul pas loin de 600 000 hommes (avec un ratio de canons par fortification ou armée de campagne inégalé, plus la plus grosse flotte de guerre d'Europe, forte consommatrice d'artillerie), et tous ces hommes sont en uniformes (soldats, marins, milices) là où sous Richelieu, aucun, ni les officiers ou même la Maison militaire du Roi, n'en portait.

Mais c'est pas le sujet. Pour commencer, je vais situer les clans décideurs: outre le Roi lui-même, qui se réserve le droit ultime des arbitrages, même dans le détail (surtout pour ce qui est des armées), les 2 clans dominants sont les Colberts et les Louvois. En l'absence d'une administration centrale existante (il y a des administrations provinciales représentant le pouvoir), les ministères sont avant tout les employés personnels des grands commis, qui centralisent et se disputent l'influence sur les grandes institutions de l'Etat, les contrats dans tous les domaines, les choix stratégiques et tactiques.... Les généraux appartiennent donc à ces vastes clans plus ou moins structurés. Turenne est une exception en ce qu'il est lui-même un clan important (prince régnant, grand du royaume, mais aussi homme d'affaire éminent et titulaire de nombreuses hautes charges, il s'est fait une clientèle énorme et un rapport direct avec le roi). Vauban, par exemple, "appartient" à Louvois, de même qu'un autre excellent militaire, le marquis de Chamley, qui fut jusqu'au bout le véritable chef d'Etat-Major de Louis XIV (un Berthier avant la lettre), et très apprécié par Turenne comme par l'un de ses clients, le maréchal de Luxembourg.

Ce sont ces têtes pensantes qui ont créé en 1671, alors que les préparatifs de la Guerre de Hollande sont en cours (un fait du clan Colbert) une expérience unique qui fut le vecteur du changement: le régiment des fusillers du Roi. C'est un régiment expérimental chargé de tester tous les développements en matière d'arme à feu, canons comme armes individuelles. Une vraie DGA qui oeuvra en 2 sens:

- ce régiment donnera par la suite naissance au Royal-Bombardiers en 1684, 1er régiment d'artillerie de France, puis deviendra lui-même le Royal Artillerie en 1695. Ces 2 régiments furent alors des unités cadres concentrant 5600 artilleurs et ingénieurs (le Génie et le Matériel étaient confondus dedans) en temps de paix, et devaient en compter le quintuple ou plus en temps de guerre (on ne compte pas les artilleurs de garnisons et de places-fortes dans ce total).

- le secteur qui nous intéresse, celui de l'armement individuel, en fut aussi radicalement changé.

C'est ce dernier aspect qui présida aux destinées du concept Pike and Shot. Vers 1665, soit à la période de la Guerre de Dévolution, l'armement individuel est très hétérogène, et avant tout grand changement, l'oeuvre des grand commis, Colbert autant que Louvois, fut de rationaliser l'ensemble et de le massifier, définissant ce qui fut l'aspect et la dimension de l'infanterie française pour la Guerre de Dévolution et celle de Hollande.

Les balles étaient fondues sur place, à la demande, dans les unités et places de garnisons, ce qui pérennisait l'hétérogénéité des calibres. Le premier mouvement de rationalisation passa par l'imposition graduelle, à partir de 1666, d'un dosage standard des balles (20 balles par livre de plomb) et de la poudre (expériences et allocations définies de poudre, en orientant vers des cartouches de papier pré-dosées et des mesures individuelles données à chaque tireur).

Si on devait définir un standard, il fallait définir une arme qui deviendrait lentement l'arme à feu unique: fusil à silex ou mousquet à mèche? Les soldats préféraient le fusil, plus simple d'emploi et plus léger, le clan Louvois le mousquet, plus fiable. Louvois fit donc casser les fusils que des soldats se procuraient individuellement.

Mais une arme unique pour une armée qui devient une armée de masse, cela veut dire plusieurs centaines de milliers d'armes, donc les ministres sont prudents (c'est pas gratuit, c'est long, c'est complexe): comme aujourd'hui, on ne fait pas la guerre avec des prototypes mais avec ce qu'on a sous la main.

Alors le régiment des fusiliers du roi expérimenta: arme avec double platine de fusil et de mousquet, fusil à mèche et pierre.... Au final, la fiabilité du fusil, dans les années 1680, devint satisfaisante.

Mais la décision fut prise précisément grâce à la résolution de l'autre grand problème de l'infanterie: la formation Pike and Shot. Dans les années 1660-1670, on en est encore au même point qu'un demi-siècle plus tôt: on a besoin de la pique, et les proportions restent celles de la Guerre de Trente Ans, à savoir 1/3 de piquiers pour 2/3 de mousquetaires.

Mais la pique diminue la puissance de feu qui occupe désormais toutes les pensées des stratèges et tacticiens; elle reste cependant nécessaire pour assurer la défense de l'infanterie face à la cavalerie, et garder une puissance d'attaque de choc. Le piquier est le plus valorisé des fantassins: il est le mieux payé (2/3 de plus qu'un mousquetaire), et son arme est réputée noble (un comble quand on pense aux préjugés encore existants sur les fantassins dans les Guerres d'Italie). Il requiert de même un entraînement plus long pour opérer en formations. Mais avec 1/3 de piquiers, le bataillon comme l'ensemble de la ligne offrent moins de puissance de feu, et la ligne peut moins se déployer, d'autant que l'infanterie est moins mobile, ne pouvant attaquer que via les piquiers, donc via des formations serrées et lentes face à un champ de bataille qui va de plus en plus vite.

Turenne fait d'ailleurs remarquer, encore dans les années 1660-1670, que contrairement à un mythe répandu, l'infanterie n'est pas absolument la reine des batailles, et elle l'est bien moins qu'à l'époque des Guerres d'Italie: l'artillerie est devenue cruciale, mais la cavalerie a repris une toute nouvelle importance en devenant l'arme de la décision. L'infanterie est certes devenue incontournable: c'est elle la ligne de bataille et c'est autour d'elle que tourne la bataille? Mais l'arme qui fait la différence, celle qui va chercher la décision, c'est la cavalerie, par sa mobilité (c'est d'ailleurs pour pallier cette lenteur de l'infanterie que se développent massivement les dragons, l'infanterie montée). Le fait que la cavalerie ne représente qu'un 5ème de l'armée en 1672 représente moins une évolution naturelle qu'un choix stratégique délibéré de Louis XIV et Louvois, qui favorisent l'infanterie et l'artillerie par préférence pour la guerre de sièges, plus sûre que les batailles et garante des négociations entre Etats, mais aussi par défiance envers la cavalerie, dont les officiers sont réputés plus indépendants.

Là encore, c'est l'expérimentation, via les Fusiliers du Roi, qui déterminera l'avenir: la baïonnette existait depuis quelque temps, mais c'était un long couteau enfoncé dans le canon. A partir de 1684, la baïonnette à douille est inventée, puis la baïonnette à douille qui dégage l'axe de tir, en s'accrochant via un cran de fixation (inventé vers 1687).

Et là arrivent les arbitrages: la baïonnette coûte 24 sous, la pique coûte 40 à 50 sous. Le choix est fait. Le 29 décembre 1689, le roi ordonne l'équipement général de l'infanterie, qui sera achevé en 1703 (et non 1708 comme je l'ai écrit plus haut: je me corrige).

On voit les délais: la décision pour le fusil à baïonnette est prise fin 1689, le dernier mousquet quitte les rangs en 1699 et la dernière pique est lâchée en 1703. La Guerre de la Ligue d'Augsbourg fut donc une période de transition avec des unités encore mixtes, mais un effort industriel important qui accéléra un changement qui prit tout de même 10 ans (quoique vu les délais aujourd'hui, on se prend à rêver).

L'historiographie anglaise dit que l'armée française innova peu dans les matériels, et que l'Angleterre comme l'Autriche furent entièrement équipées des mêmes matériels avant. C'est oublier qu'eux n'ont eu à équiper qu'autour de 50 000h, pour l'Angleterre, et un maximum de 100 000 pour l'Autriche.

Le fusil fut ainsi introduit d'abord dans les unités d'élite (fusiliers du roi -les expérimentateurs- et Maison militaire), puis dans les compagnies de grenadiers (1 par bataillon), puis dans les unités nouvelles de miliciens (ce premier service de conscription), et enfin dans la ligne (plus conservatrice, mais aussi le plus gros de l'effectif de campagne).

Parallèlement, on a aussi la carabine à canon rayé qui apparaît, arme réservée aux bons tireurs (surtout dans les compagnies franches, l'infanterie légère), et à la cavalerie: dragons et chevau-légers se virent remettre 2 carabines par compagnie, puis une compagnie entière fut équipée dans chaque régiment, et enfin un régiment entier de carabiners fut créé en 1693.

Un dernier point dans l'armement individuel: le sabre remplace l'épée (le braquemart) en 1679, à l'instigation de Turenne (devinez qui avait des intérêts dans les forges fabricant les sabres?).

En bref, on peut dater de cette ordonnance de Louis XIV du 29 décembre 1689 la mort de l'infanterie Pike and Shot; il définit le modèle sur lequel toute l'Europe allait s'aligner. En même temps, on a la standardisation de l'armement au sens tactique (fusil et baïonnette) et au sens individuel (le même fusil pour tous). C'est de cette date qu'on peut ainsi déduire la fin du cadre du sujet, et le début réel de l'infanterie moderne.

C'est aussi, pour l'anecdote, de là qu'on peut dater le premier modèle de fusil français (et européen) d'armée, tel qu'on le comprend aujourd'hui. De ce premier modèle au FAMAS FELIN, on peut constater l'évolution en continu.

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dis moi, la formation tactique pour les unités de piquiers et de mousquetaires de la guerre de 30 ans, tu peux me confirmer ( pour les armées suédoises ( d'abord ) puis françaises ) qu'il s'agit d'un carré de piquiers flanqué sur ses flancs de mousquetaires ou c'est une légende ?

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Il y a de nombreuses formations dans chaque armée, et elles sont plus complexes que ça: un carré de piquiers, c'est avant tout une formation d'attaque lente, qui se fait épauler de tirailleurs devant et de mousquetaires sur les flancs, en ligne. C'est aussi la formation défensive en cas d'encerclement, le carré de piquiers se faisant creux pour accueillir les mousquetaire pendant une charge d'infanterie ou de cavalerie, mais ce fait est surtout celui des tercios pendant la guerre de trente ans: à ce moment, les autres armées se sont orientées vers un ordre plus mince pour mieux déployer le dispositif de mousquetaires et limiter les dégâts occasionnés par l'artillerie.

Le très symbolique carré des tercios, avec 4 paquets de mousquetaires aux coins et une ligne de mousquetaires sur chaque côté du carré, est une formation vraiment axée sur la défensive face aux encerclements. C'est une survivance du dispositif de bataille du XVIème siècle, lui-même une évolution du modèle suisse due à l'augmentation permanente du nombre de tireurs. Les arbalétriers se plaçaient ainsi. Evidemment, ce sont des modèles qui tâtonnent en fonction des expériences vécues face à des adversaires différents (la tactique du même adversaire changeant, même sur de courtes périodes, suivant le niveau de qualité des troupes ou le commandement). Mais fondamentalement, tout le monde le maintient parce que les cadences de tir sont insuffisantes pour repousser la cavalerie par le feu pendant longtemps, et que le modèle de l'infanterie de pique s'est avant tout développé, initialement chez diverses milices communales (italiennes, flamandes, suisses), pour contrer la cavalerie de choc.

Ce carré n'a rien de caricatural: il représente une conception issue de la forteresse, les piquiers dressant un rempart gardé par les 4 "bastions" et les 4 lignes de tireurs (ces lignes minces n'étant que des groupes de tirailleurs, leur ordonnancement ne permettant pas le tir continu). La taille de ce carré varie selon les effectifs, mais aussi selon le choix du nombre de rangs. Son importance a été relativisée par l'augmentation de la taille des armées et du champ de bataille (au début, une armée espagnole était pouvait se centrer autour d'un seul tercio, ce qui était l'objectif de la réforme), et celle de la mobilité et des distances de ce même champ de bataille (portées et cadences de tir, renouveau de la cavalerie).

Mais ce carré est une formation de base, à partir de laquelle on manoeuvre en bataille:

- envoi des tireurs en infanterie légère (avant garde, ligne de tirailleurs) avec ou sans un appui de piquiers intégré. Le carré est alors la position forte et défensive.

- progression par "bonds" sur le champ de bataille: une ligne de tireurs avec ou sans piquier avance, fait un assaut et se fait rejoindre par le gros du carré.

- extension ou diminution du dispositif, pour définir la ligne du champ de bataille

Le détachement de forces adaptées est particulièrement poussé chez les Espagnols qui, procédé issu de la guerre de sièges (peu de déploiements complets en ordre de bataille), constituent des groupements temporaires de taille et composition variable, chargés de tâches spécifiques ou de constituer des points d'avance de l'unité.

Quel que soit le pays, le carré, dont il existe plusieurs formes et tailles pour la même formation, n'est que le dispositif préliminaire du déploiement en bataille, la formation à partir de laquelle on opère.

Ce sont les Hollandais qui amorcent l'évolution moderne qui tendra quasi en permanence vers l'allongement du front, favorisant de ce fait l'arme à feu aux dépends de la pique: ce lent changement va de pair avec l'amélioration constante des armes à feu et le maintien de plus en plus permanent d'importants effectifs sous les drapeaux, qui favorise une meilleure discipline de tir, donc de meilleures cadences, ce qui rend l'arme relativement plus avantageuse face à une pique qui garde néanmoins sa pertinence aussi longtemps que les cadences et la puissance de feu restent, dans l'absolu, assez limitées. Contrairement au XVIIIème siècle, pendant la Guerre de Trente Ans, un feu relativement continu et à peu près précis ne peut être entretenu à moins de 5 rangs d'arquebusiers, et encore. Ce fait limite en lui même la ligne de front, et dès lors que l'on recherche cet effet de feu, on ne peut que chercher à étendre sa ligne en bouffant au maxi sur les effectifs de piquiers qui sont réduits au point de ne plus vraiment pouvoir assumer de rôle offensif que ponctuel. Cela signifie que le choix de l'arme à feu a été fait, avec ses qualités et ses défauts d'alors.

Les Hollandais déploient alors des régiments plus réduits, avec des piquiers (400) restant en arrière et des tireurs (400 aussi) avançant en carrés séparés. Ces régiments sont faits de 2 grosses compagnies de chaque. Et ces régiments sont groupés par 4 en brigades provisoires, sur 3 rangs de régiments: c'est le dispositif de bataille créé par Maurice de Nassau.

De fait, c'est seulement à partir de la guerre de Trente Ans qu'on voit de plus en plus les lignes de bataille s'étendre, à mesure que les cadences de tir s'accélèrent: jusque là, surtout chez les Hollandais, la nécessité d'assurer le tir continu implique que les tireurs sont regroupés en carrés, qui sont en fait des lignes de bataille primitives dont l'épaisseur n'est due qu'à la faiblesse des cadences. Plus le savoir-faire et la technologie progressent, plus le nombre de rangs de tireurs diminue au profit de leur étirement. Mais ce n'est qu'à partir de la toute fin du XVIIème qu'on peut voir les lignes de bataille sur 3 rangs, parfois 2, assurer un tir relativement continu.

La France affine le modèle hollandais à partir d'Henri IV, avec des compagnies composites plus nombreuses et plus petites, et une proportion de piquiers plus réduite (le France est la première à passer aux 1/3 - 2/3).

C'est parallèlement cette recherche du feu qui redonne sa chance à la cavalerie qui, de son côté, s'est allégée et a changé de doctrine, imposant le maintien d'un minimum de piquiers en attendant la baïonnette et un accroissement plus net des cadences de tir.

Côté suédois, le carré est tout autant une contrainte y compris pendant la guerre de Trente Ans: les piquiers n'ont de vraie efficacité offensive et surtout défensive que par le groupement avec un minimum de profondeur des rangs, et les tireurs, cherchant le tir continu, ne peuvent qu'opérer en carré. Le déploiement en tirailleurs, comme partout ailleurs, cherche le tir précis, et non la cadence.

D'une manière générale, le carré reste une contrainte pour tous, et les modèles nationaux dépendent des ordonnancements, composition et tailles des compagnies et bataillons/régiments sur le champ de bataille. On cherche à étendre le front de tireurs en gardant la possibilité de les protéger de la cavalerie adverse, toutes choses contraignantes et contradictoires en termes d'agencement. Surtout que pour s'adapter au nouveau champ de bataille, plus grand (effectifs croissants), plus profond (portée de l'artillerie) et plus mobile (puissance et pertinence de la cavalerie), il faut chercher à maximiser la ligne de bataille ET à accroître les possibilités de manoeuvre globale.

Résultat, avant la période de l'infanterie uniformisée (cadences de tir accrues et fusils à baïonnettes), où on pourra agencer indifféremment toute l'infanterie, chaque nation doit essayer de trouver le moyen de déployer des carrés compacts au maximum, tout en agençant piquiers et mousquetaires de façon à ce qu'à tout moment, les uns puissent protéger ou appuyer les autres. Le tout en faisant en sorte que, à l'échelon supérieur, les régiments/tercios puissent aussi se soutenir entre eux.

La solution hollandaise est de réduire les formations, les spécialiser, les multiplier et de les agencer en brigades temporaires à équivalence numérique.

La brigade suédoise est plus complexe et correspond à un niveau plus élevé de recutement, mais aussi à une recherche plus fondamentale de la décision et donc du choc, là où le modèle hollandais correspond à une guerre plus statique faite d'affrontements en campagne plus rares et limités.

Gustave Adolphe a une armée de campagne, faite de bataillons composites, et il faut souligner que ce modèle exige la discipline la plus poussée de l'époque, qui ne survivra pas à son créateur. Car l'ordonnancement en bataille en est très complexe, le rôle d'un premier échelon de tireurs (2x3 rangs sur 16 files) étant le tir de volées uniques et violentes (par échelons de 3 rangs), suivi par un 2ème échelon qui opère de même de plus près, avec les canons légers portatifs (les "canons de cuir"), avec le 3ème échelon, fait de piquiers, qui charge au corps à corps.

La défaite suédoise face aux Espagnols à Nordlingen s'explique moins par la discipline des Tercios (car les troupes suédoises sont alors les plus disciplinées d'Europe: disons que la discipline n'était pas un facteur décisif entre les 2 troupes) que par les faiblesses de ce dispositif eu égard à une cadence de feu assez réduite qui montre ses limites face à une formation solide en profondeur, mais aussi par les hésitations du commandement à tirer parti de la plus grande mobilité de l'infanterie suédoise et de sa cavalerie, très employée par Gustave Adolphe en son temps. Soulignons aussi que la tare de l'armée de Gustave Adolphe est sa faiblesse organique en artillerie: le roi suédois préférant la mobilité, il a défini un modèle qui ne convenait qu'à son commandement. Turenne avait les mêmes préférences, par rapport à un Condé sachant allier artillerie et cavalerie.

J'ai peut-être répondu à côté, tu me dis....

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L'apparition du modèle pike and shot était une évolution militaire commencée par la constitution de milices de défense locales, soit en fait une création initialement politique et communautaire dont l'usage fut appliqué à une échelle de plus en plus grande et de moins en moins liée à la logique initiale de défense. Au début, l'introduction de l'arme à feu ne fut qu'une adaptation ponctuelle prolongeant l'usage de l'arc et surtout de l'arbalète, sans changer l'organisation fondamentale avant tout liée au concept d'infanterie faite pour le choc.

Les Guerres d'Italie constituent le creuset laboratoire de la première évolution majure, qui rend l'arme à feu indispensable à la nouvelle efficacité du modèle. Au XVIIème siècle, le fait est là: l'infanterie pike and shot est une infanterie de tir, en attaque et de plus en plus en défense, la pique n'étant gardée que pour pallier en dernier recours les insuffisances de l'arme à feu et garder une capacité de choc pour les généraux qui conçoivent plus la guerre comme la recherche du contact décisif et reposent moins sur l'artillerie, devenue absolument incontournable.

L'apparition du bataillon comme subdivision des unités d'infanterie dominante devenue incontournable a commencé en Hollande avec la réduction des formats de régiments. Le problème a résidé dans l'emploi en grand de l'arme à feu, et parallèlement à des formations en évolution, on systématisé de plus en plus l'entraînement à grande échelle; en France, ce fut par l'oranisation de grands camps annuels pendant plusieurs mois (avec une manoeuvre par semaine) où les manoeuvres étaient pratiquées à l'échelle d'une armée de campagne.

Le bataillon, vraiment employé à partir de la guerre de 30 ans, n'est institutionalisé en France qu'en 1679, avec 15 compagnies dans chaque; il se forme alors sur 8 rangs et 94 files, dont 1/3 de piquiers. La suppression de la pique, 10 ans plus tard, permet tout simplement de réduire le nombre de rangs, enlevant 1/3 de ses effectifs au bataillon en gardant le même nombre de files, donc la même longueur de front, et de redéployer les effectifs enlevés dans un accroissement net de l'armée qui augmente du tiers le nombre de ses bataillons.

Enfin soulignons aussi, pour clore cet épisode sur la fin du pike and shot, que la France fit, via Louvoi, le choix majeur de l'infanterie et de la cavalerie en raison d'une conception fondamentalement défensive, d'une ambition territoriale modérée et méthodique et d'une hostilité relative du ministre à l'esprit d'indépendance de la cavalerie. Celle-ci crût énormément en efficacité et en organisation, mais son effectif global resta cantonné autour d'un cinquième de l'effectif de l'infanterie.

Cependant, dès lors qu'une armée était constituée pour l'Allemagne, contrairement à la guerre dans les Pays Bas et sur le front montagneux italien, la proportion de cavalerie augmentait à mesure que la mission pouvait emporter l'armée loi de la frontière. Les cavaliers sont en effet non seulement gage de souplesse et de mobilité, mais aussi de "portée de détection" et de capacité au fourrageage. En France, la politique, révolutionnaire pour l'époque, est de ne plus vivre sur le terrain (les armées étaient alors aussi dévastatrices pour leurs populations que pour celles des adversaires).

L'infanterie française a une capacité de concentration sur ses frontières absolument inégalée en Europe, en rapidité et en quantité, via le réseau de routes et de magasins que Louvois et Colbert mettent en place, ainsi que par l'organisation des mouvements. Aucun pays n'a une telle capacité logistique. Mais au-delà d'une cinquantaine de kilomètres après la frontière, l'armée française est comme les autres: elle doit vivre sur le pays. Dans les Pays Bas espagnols, cette nécessité est atténuée par les faibles longueurs des lignes de ravitaillement, l'abondance de la logistique et la sympathie d'une partie des populations et élites locales, mais en Allemagne, vivre sur le terrain est une nécessité totale.

Ce facteur devient important dès lors qu'on comprend bien l'obsession des stratèges et taticiens pour la longueur de la ligne de bataille et la mobilité en marche des unités élémentaires; l'accroissement constant des effectifs en campagne et la longueur de l'immense colonne qu'est une armée en marche deviennent des facteurs cruciaux pour penser la guerre.

Le dispositif doit être souple, et la fin de la pique fut aussi un élément de cette réflexion: l'infanterie pike and shot implique un ordre de marche complexe, pour répartir mousquetaires et piquiers de façon à pouvoir parer à une attaque surprise et à se déployer en ordre de bataille sans préavis en évitant un désordre monstre.

Une infanterie standardisée sur un modèle unique est infiniment plus souple à cet égard, et l'organisation des mouvements est d'autant plus simplifiée que le régiment est lui-même subdivisé en 2 ou 3 unités tactiquement autonomes.

L'ordre de marche est aussi important que l'ordre de bataille, et les contraintes du modèle pike end shot ont aussi joué dans les décisions qui ont présidé à l'abandon de la pique.

Car il faut bien se rendre compte que le fusil avec une baïonnette à douille ne vaut pas une pique, ni dans la défense contre la cavalerie, ni dans la capacité d'attaque, et que ce fait est resté longtemps sujet de polémiques d'experts, les théoriciens du choc au XVIIIème siècle vantant sans discontinuer les mérites de la pique et l'efficacité toute relative des salves de la ligne de bataille avec les armes de l'époque. On notera d'ailleurs que les armées russes et suédoises ont gardé la pique jusqu'aux années 1730, et que l'efficacité des armées suédoises restait excellente sur le terrain.

Une dernière chose sur le plan tactique est que l'allongement de la ligne de bataille, qui est la constante du XVIIème siècle, avec des formations de plus en plus minces tant pour limiter les dégâts de l'artillerie sur les files que pour rechercher la maximisation de la puissance de feu et les possibilités de contournement, cet allongement donc va de pair avec la professionalisation du commandement et l'accroissement de l'encadrement. Un ordre de bataille plus étendu nécessite de fait une coordination sans commune mesure avec celui d'un ordre de bataille compact: l'esprit de coprs et l'encadrement par des sous-officiers pour la cohésion ne suffit pas. De même, cette organisation nécessite plus de moyens de coordinations, musique, signaux et estafettes en plus grand nombre, mais ces moyens, dans les conditions de la bataille du XVIIème siècle.

Il faut donc un accroissement net et constant du nombre d'officiers, et surtout d'officiers formés de la même façon, car leur niveau d'autonomie doit être grand. C'est dans l'armée suédoise qu'on voit cette autonomisation des bas échelons commencer à grande échelle, en raison de l'extension du dispositif de bataille impulsé par Gustave Adolphe, et de son extrême complexité: la discipline y est encore plus nécessaire qu'ailleurs (complexité, taille, mais aussi recherche de la rapidité et de l'offensive pour cette armée expéditionnaire), mais un commandant perd le contrôle direct de ses troupes face à un tel ordre de bataille. Même un colonel ne peut maîtriser son régiment. Et l'encadrement nobiliaire traditionnel, même fait de professionnels aguerris, ne suffit pas. Là aussi, la standardisation des façons de faire est nécessaire.

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Juste une note sur cette révolution militaire française du XVIIème siècle: Louvois crée de fait la première arme à feu standard pour une armée. Mais il ne faut pas se faire d'illusions sur le terme de standard, eu égard aux structures industrielles de l'époque, même après la révolution colbertienne et la politique d'armement de Louvois: le fusil standard qui apparaît dans les années 1670-1680 est en fait un modèle à la spécification de calibre commun (pour la norme de 20 balles à la livre de plomb), avec un nombre défini de pièces interchangeables et un principe de mécanisme commun. Dans les faits, la réalité doit tourner autour d'une quarantaine de variantes servant au même moment dans les armées, correspondant à la variété des fabriques autant qu'à l'étalement dans le temps de la production.

Le second effort de standardisation arrive en 1717, avec le 1er mousquet Charleville: 14 variantes. Cette arme évolue au fil du siècle, jusqu'à la 3ème grande réforme, celle de Gribeauval en 1777, revue en 1801. Celles-ci n'avait plus que 6 modèles en service, avec une quasi totale interchangeabilité des pièces.

On perçoit ainsi encore mieux l'obsession de la standardisation comme force active contre l'infanterie pike and shot: avec l'accroissement de la taille des armées et des développements tactiques, la nécessité de l'industrialisation de la guerre porte d'autres logiques de choix que la seule efficacité sur le champ de bataille. Sur ce dernier plan, la pique était encore un sujet de débat pendant la période napoléonienne, l'efficacité strictement tactique des charges à la baïonnette, mais aussi de la capacité de défense des rangées de baïonnettes, étant sujette à débat.

Industrialisation = nouvelle logique de choix: le terrain ne décide plus seul.

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