Historique : Le renseignement électronique

Le renseignement satellitaire est en constante évolution, et pour mieux le comprendre un retour en arrière sur son développement s’impose. Les premiers satellites de renseignement électromagnétiques américains visaient à faire de l’ELINT (Electronic Intelligence), c’est-à-dire obtenir des renseignements techniques sur les radars ennemis, permettant d’en déterminer les capacités et de mettre au point des contre-mesures. Le premier de ces satellites, appelé Grab (Galactic Radiation and Background), envoya des informations vers la Terre en juillet 1960, faisant de lui le premier satellite de renseignement américain opérationnel.

Plusieurs satellites GRAB furent lancés, suivis d’autres satellites en orbite basse appelés de manière générique ferret, optimisés pour différents objectifs selon les préoccupations du moment : ELINT visant les radars de défense aérienne, puis les radars de systèmes antimissiles balistiques (ABM) et antisatellites (ASAT), puis pour déterminer l’EOB (Electronic Order of Battle) adverse et enfin faire de la surveillance océanique.

Déterminer « l’ordre de bataille électronique » consiste à trouver combien l’ennemi a de radars et où ils se trouvent. Les ferrets placés dans une orbite basse très inclinée, survolaient l’URSS toutes les quelques heures, permettant de tracer une cartographie des radars soviétiques. Une fois établi, ce renseignement permet aux forces aériennes de concevoir des plans de frappes en évitant autant que possible les défenses aériennes ennemies. En pleine guerre froide, le premier utilisateur de ces renseignements était la force de frappe nucléaire américaine.

Outre les États-Unis, l’URSS a lancé des satellites ELINT en orbite basse à partir de 1967 ; la Chine semble avoir au moins expérimenté ce domaine à partir de 1971, et la France a lancé plusieurs satellites expérimentaux à partir de 1995.

Pour la surveillance océanique, les Américains ont lancé plusieurs constellations de satellites dédiés. Ceux-ci interceptent les signaux radar émis par les navires, ce qui permet de les localiser et les identifier. Les Soviétiques ont également constitué un système satellitaire de surveillance océanique, qui a la particularité d’utiliser deux types de satellites. Le premier, appelé US-A ou en Occident RORSAT (Radar Ocean Reconnaissance Satellite), utilise un radar pour détecter les navires et calculer leur cap et leur vitesse, tandis que le second, dénommé US-P ou EORSAT (ELINT Ocean Reconnaissance Satellite), les identifie par leur signature électromagnétique.


satellite de renseignement électronique géostationnaire

Les satellites en orbite basse ne sont pas adaptés à l’interception des communications du fait de leur défilement rapide, qui les empêche de rester longtemps en vue des émetteurs à écouter. Pour ce faire, les États-Unis lancèrent des satellites en orbite géostationnaire ou quasi-géostationnaire à partir de 1968. Deux programmes de satellites géosynchrones existaient en parallèle. Le premier, confié à l’US Air Force, était purement COMINT (Communications Intelligence, interception des communications) et comprenait les générations de satellites Canyon, Chalet/Vortex et Mercury. Le second, mené par la direction de la science & technologie de la CIA, visait à la fois à intercepter la télémétrie des sites d’essais de missiles soviétiques et à intercepter des communications. La première génération issue de ce programme était appelée Rhyolite, suivie de Magnum et d’autres encore inconnus.

Une telle orbite leur permettait d’intercepter les communications transmises par faisceaux hertziens loin à l’intérieur de l’URSS, ainsi que des communications radio à courte portées dans les fréquences UHV et VHF. Un Vortex aurait ainsi intercepté de nombreuses communications de l’armée, du parti et d’autres services soviétiques lors de la catastrophe de Tchernobyl. De tels satellites auraient également pu localiser des missiles nucléaires mobiles SS-20 et SS-24 en interceptant leurs communications avec leur QG. La quantité d’interceptions à écouter était telle que les USA ont dû faire appel aux Britanniques et aux Canadiens pour la traiter.

Enfin, les États-Unis ont également lancé des satellites d’interception sur des orbites hautement elliptiques dites de Molniya qui leur font longuement survoler les latitudes polaires de l’URSS, zones mal couvertes par les satellites géostationnaires. Ces satellites, de classes Jumpseat puis Trumpet, surveillent en priorité les radars ABM soviétiques. Ils auraient également la capacité d’intercepter des communications VHF/UHV telles que celles de la défense aérienne, et les communications ascendantes vers les satellites soviétiques Molniya placés sur des orbites proches.

Seuls les États-Unis ont lancés de tels satellites de renseignement électromagnétique. Le Royaume-Uni a « acquis » à la fin des années 1980 le droit de diriger un de ces satellites en assurant son financement.

Peu de renseignements sont disponibles sur les satellites de renseignement électromagnétique américains à partir des années 1990. Cependant, on peut noter qu’ils sont surtout adaptés pour se renseigner sur des armées régulières modernes et surveiller le respect de traités de désarmement, alors que dans l’après-guerre froide les USA ont été confrontés principalement à des pays peu développés et des acteurs non-étatiques. Par ailleurs, le monde a connu pendant la même période une explosion sans précédent du volume des télécommunications civiles et l’abandon des ondes radio pour des câbles transcontinentaux à fibre optique. Il n’est donc pas sûr que les satellites trouvent encore leur place parmi les moyens d’écoute des communications à l’avenir.