Emmanuel Macron a annoncé mercredi à son homologue ukrainien Volodimir Zelensky la livraison à l’Ukraine de blindés à roues AMX-10 RC. Sans préciser le nombre d'engins à livrer ni la date de leur arrivée en Ukraine. Ce type de matériel est encore en service dans les régiments de cavalerie légère française ; ce blindé des années 1970 commence toutefois à être remplacé par le Jaguar.
Cette annonce élyséenne, dont on parlait dès septembre dernier, mérite d’être décryptée.
Une intention politique
"C’est la première fois que des chars de conception occidentale sont fournis aux forces armées ukrainiennes", a bien précisé la présidence française. De son côté, le président ukrainien s’est aussi félicité de ce prochain transfert qui "enverra un signal clair à tous nos autres partenaires et leur montrera qu’il n’y a pas de raisons rationnelles qui interdisent de nous fournir des tanks de conception occidentale ".
Paris et Kiev ne cachent donc pas leurs intentions. La France veut convaincre qu’elle est un contributeur majeur de l’Ukraine. A défaut de livrer des chars de bataille Leclerc comme le souhaitait Zelensky, Paris envoie ce qui, dans son arsenal, y ressemble le plus : un blindé à roues armé d’un canon de 105 mm. "On n’a gardé aucun de nos anciens AMX-30B2", constate Marc Chassilan, un expert des blindés. "On aurait eu un stock, c’était ça que l’on aurait pu donner". Les motivations françaises sont donc avant tout politiques et non pas tactiques.
Pour Kiev, il s’agit de démontrer que ses alliés peuvent livrer des « tanks ». Puisque Paris le fait, Washington, Berlin et quelques autres pays, toujours réticents à livrer du char de bataille comme des Leopard 2, ne doivent plus hésiter. Kiev a chiffré ses besoins : 500 chars, selon le conseiller à la présidence ukrainienne Mykhailo Podolyak.
La prochaine réunion des donateurs qui se tiendra à Ramstein (Allemagne) pourrait voir des annonces en ce sens. Jeudi déjà, la présidente de la commission de la Défense au Bundestag -la chambre basse du parlement-, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, a déclaré "qu'une fois de plus, la France assume le rôle que l'on attendait de l'Allemagne et prend elle-même les devants". Côté américain, l'administration Biden se préparerait à annoncer l'envoi de Bradley (voir mon post du 30 décembre).
Char ou pas ?
L’AMX-10 RC est-il un char ? Comparé à un Leclerc, l’AMX-10 RC (pour « roues/canon ») est un ersatz de char de bataille.
Il a été conçu dans les années 1970 et livré à partir de 1977, en pleine Guerre froide. "A l’origine, c’est un engin destiné à la reconnaissance ", précise Marc Chassillan. "Dans la doctrine française, la reconnaissance est un acte de combat, à la différence de l’éclairage ". C’est pour cette raison que ce blindé a été doté d’un canon de 105 mm moderne et efficace qui devait lui permettre d’effectuer des coups d’arrêt face aux chars des forces du pacte de Varsovie. Rapide, agile et bien armé, l’AMX-10 RC est toutefois pénalisé par un blindage insuffisant, même si des adaptations récentes ont permis de mieux le protéger (d’où l’AMX-10 RCR, rénové avec un système de Protection contre les EEI).
Il a été utilisé pendant l’opération Daguet (1re guerre du Golfe en 1990-1991), puis au Kosovo, en Afghanistan et au Sahel, en appui à l’infanterie et en accompagnement des véhicules blindés de transport de troupes. 247 blindés de ce type étaient encore en parc en juillet 2021. Il est en dotation au 1er régiment de hussards parachutistes, au 1er Régiment de spahis, au 1er régiment d’infanterie de marine, au 1er régiment étranger de cavalerie, au régiment de chars d’infanterie de marine…
En Ukraine, quelles missions?
L’AMX-10 RC "est un très bon véhicule tous chemins, le parfait chien de garde pour accompagner des blindés de transport de troupes et appuyer de l’infanterie au sol", résume Marc Chassillan. Sans s’avancer sur l’utilisation que vont en faire les Ukrainiens. De la reconnaissance à la française ? De l’appui-feu au profit de l’infanterie motorisée ?
Quelles que soient les missions, les Ukrainiens vont devoir se former sur ce matériel. Cette formation n’aurait pas encore commencé, malgré la présence de soldats ukrainiens, il y a quelques semaines, à l’école de la cavalerie de Saumur. D’où une période incompressible avant de voir des équipages (quatre hommes par AMX-10 RC) s’élancer au combat.
Autre problème : les munitions. Son canon de 105 mm ne tire pas d’obus standards de l’Otan. Il va donc falloir compter sur un approvisionnement français. Or, le stock n’a pas été recomplété, étant supposé durer jusqu’en 2030, date de retrait du service actif de tous les AMX-10 RC.
Enfin, il va falloir doter les Ukrainiens de lots de pièces de rechange, l’AMX-10 RC étant sujet à des problèmes récurrents de boîte de vitesses par exemple. Là encore, le stock est limité puisque pas recomplété ces dernières années.
On est donc en train de réduire la capacité française d’emploi de ce type de blindés puisque les stocks d’obus et de pièces de rechange seront bientôt vidés au profit des Ukrainiens. Moralité : le remplacement par le Jaguar doit s’accélérer sous peine de voir des régiments non dotés de leur armement principal.