Les conséquences de la mise en œuvre des avions à réaction sur les porte-avions

Pourquoi et comment la Royal Navy a-t-elle développé la première les trois concepts de la piste oblique, de la catapulte à vapeur et du miroir d'appontage.

Durant l'hiver 1944/45, un comité d'officiers supérieurs de la Royal Navy commença à réfléchir à l'utilisation des premiers jets sur porte-avions et aux éventuelles modifications induites par celle-ci. Plusieurs problèmes apparurent.

  • Les appareils à réaction se posaient à des vitesses supérieures à celle des appareils classiques de l'époque et compte-tenu de la faible poussée et du temps de réponse très long des premiers turbo-réacteurs l'appontage devait se faire avec beaucoup de gaz sans guère de réserve de puissance
  • Pour les même raison, les jets plus lourds nécessitaient des catapultes plus puissantes que les catapultes hydrauliques alors en service.
  • Les premiers avions à réaction consommaient beaucoup plus que les appareils classiques. Il fallait trouver tous les moyens indirects d'accroître leur autonomie.

Tout était à redécouvrir, les vitesses d'approches, les angles de descente, les procédures et circuits d'appontage...

Le comité se tourna vers les équipes civiles et militaires du Royal Aircraft Establishment de Farnborough pour tenter d'apporter les réponses techniques à ces nouveaux défis. En avril 1945, la Catapult Section du RAE devint le Naval Aircraft Department sous la direction d'un ingénieur civil Lewis Boddington. Son équipe composée d'ingénieurs civils et militaires ainsi que de pilotes, fut chargée de s'attaquer au problème. A partir du 7 juin 1945 le NAD mena les premiers tests de faisabilité concernant l'appontage des jets en utilisant le concept du flexible deck ou pneumatic deck. Les avions n'utilisaient pas un train d'atterrissage classique mais des chariots largables (cette idée sera mise en œuvre plus tard sur le prototype français Baroudeur). Catapultés sur un chariot largable ils se posaient sur le ventre sur un revêtement de pont particulier. Une piste en béton de 60 mètres de long recouverte de modules gonflables fut ainsi réalisée sur le site de Farnborough. Dans le même temps les ingénieurs du RAE commencèrent à imaginer un système optique pour guider le pilote lors de l'appontage.

Fin juin Boddington et ses collègues avaient d'ores et déjà identifié deux solutions aux problèmes identifiés l'hiver précédent: une nouvelle forme de piste d'appontage permettant de freiner rapidement les appareils et un système optique permettant un guidage plus précis lors des appontages. En plus les premiers essais en grandeur réelle avaient clairement montré que les appareils à turbo-réacteur avaient besoin de beaucoup plus de vitesse ou de vent relatif que les appareils alors en service pour décoller et ne pouvaient plus, dans certaines configurations, utiliser les installations de catapultage existantes sur les porte-avions britanniques.

L’amiral Slattery, chef du Naval Reaserch Department estimait en avril 1945 que le flexdeck représentait une bonne solution pour dégrossir la question de l'appontage des jets sur porte-avions. En 1926 alors Capitaine de Vaisseau il avait été un des promoteur du concept de porte-avions d'escorte.

A la fin de l'été 1945 les concepts majeurs qui fondèrent la réalisation des porte-avions modernes étaient identifiés. Il faudra attendre un peu plus de 10 ans pour les voir mis en application ensemble sur le premier véritable porte-avions moderne: l'USS Forrestal.

Adapter ou innover ?

Au sein de l'US Navy Marc Mitscher, à la fin de la guerre, recommanda la création d'un organe de réflexion sur l'évolution des porte-avions à la lumière des enseignements de la guerre du Pacifique. Le Deputy Chief of Naval Operations (Air) le Capitaine de Vaisseau Rassieur fut chargé d'étudier l'impact de l'utilisation des nouveaux jets sur les Essex et les Midway. Rassieur partit du principe que le porte-avions et son groupe aérien constituaient un seul et même système d'arme dont le but principal était de générer un maximum de sorties aériennes. Pour se faire il fallait plus de catapultes par porte-avions, celles-ci devaient pouvoir être utilisées simultanément. Pour y parvenir il apparut qu'il fallait déplacer les ascenseurs pour libérer des espaces pour les catapultes et les manœuvres aviation sur le pont d'envol.

En juin 1945 Rassieur soumit son projet au «comité Mitscher». En juillet ce comité recommandait un nouveau design pour les ponts d'envol. En parallèle le BuAer étudiait la mise en œuvre d'appareils turbo-propulsés sur porte-avions notamment des bombardiers lourds. En février 1946 le Vice-chef des Opérations Navales, l'Amiral de Witt Ramsay demanda au Buships d'étudier un nouveau design de porte-avions tenant compte de ces observations, projet que le Buships avait anticipé et qu'il rendit en avril 1946 sous la dénomination «C2». «C2» était une modification du Midway destinée à emporter des bombardiers lourds. Mais le Buships avait dans ses cartons un autre projet de CVB-X pour succéder aux Essex. Le CVB-X (le défunt United States) fut annulé en 1949 il devait lui aussi accueillir des bombardiers bimoteurs et disposait d'ascenseurs latéraux.

Dès le début, les orientations prises par les deux marines furent différentes. Les Britanniques voulaient innover et repenser les porte-avions pour y adapter les avions à réactions. L'USN se focalisait sur l'accueil des bombardiers nucléaires et travaillait à l'adaptation de ses très nombreux porte-avions d'escadre aux nouvelles missions.

Les buts poursuivis étaient donc différents. En effet les impératifs des amiraux américains alors au cœur de la rivalité USAF/USN dans le domaine des frappes nucléaires stratégiques; divergeaient radicalement de ceux de leurs collègues britanniques. La Royal Navy entendait maîtriser les défis techniques préfigurant le futur pour pouvoir mettre en œuvre de nouveaux avions et prendre ainsi un virage qu'elle avait raté 20 ans plus tôt quand l' USN luttait pour la survie de sa flotte de porte-avions d'escadre et cherchait avant tout à adapter l'outil existant à de nouvelles missions essentielles telles la mise en œuvre d'appareils de 30 tonnes à capacité nucléaire.