La genèse

Quoiqu'on en dise, ces deux moteurs ont été conçus pour un usage bien précis et cet usage implique des priorités, des optimisations, et des choix techniques particuliers. Un rapide aperçu de leur genèse permet de lever le voile sur certaines caractéristiques voulues dès l'origine, et éclaire d'un jour nouveau les différences constatées jusque là en comparant les plaquettes officielles.

Les études françaises lancées par les industriels, en particulier SNECMA et Dassault Aviation, sous l'égide du Centre de Prospective et d'Evaluations ont permis de figer, dès 1978, le portrait robot du futur moteur militaire. Les deux missions essentielles considérées dans le cadre de ces études, à savoir "pénétration" et "supériorité aérienne", avec leurs exigences différentes (faible consommation kilométrique pour la première et forte poussée spécifique pour la seconde), sont à l'origine des compromis techniques réalisés. Dès cette époque les caractéristiques principales du M88 étaient définies : double corps/double flux, taux de compression élevé en restant compatible avec de bonnes performances à Mach élevé, température d'entrée de turbine aussi élevée que le permet l'utilisation de nouveaux matériaux.

Tous les composants du moteur ont fait l'objet d'un programme de démonstration technologique : MINOS pour la validation aérodynamique dès le début des années 1970, DEXTRE pour la validation thermique et mécanique de la turbine de 1979 à 1983, le compresseur HP et la chambre de combustion à partir de 1982, le compresseur BP en 1983, le corps HP de 1983 à 1987, SYREN pour la régulation numérique en 1981 puis RENPAR en 1987. La compatibilité entre tous ces modules était quant à elle démontrée par le démonstrateur M88 lancé en 1982 qui tournait au banc dès 1984 (1).

En 1984 Rolls-Royce lançait sur la base d'études préliminaires conduites depuis 1982 le développement d'un démonstrateur technologique, le XG-40, optimisé pour le vol supersonique (Mach 0.9 à 1.6) à une altitude voisine de 35000 ft. A l'automne 1985, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Grande Bretagne entraient dans la phase de définition d'un nouveau moteur, l'EJ-200, inspiré en partie du démonstrateur XG-40 (ressemblance qualifiée d' "heureuse coïncidence" par Rolls-Royce en 1987 (5)) et destiné à équiper l'Eurofighter Typhoon. Les objectifs initiaux portaient sur :

  • une optimisation pour le rôle de chasseur
  • un rapport poussée/poids supérieur aux moteurs de l'époque
  • conçu pour être à la fois très performant et à faibles coûts de possession
  • durée de vie, maintenance et inspections améliorées/facilitées
  • sans contraintes d'utilisation dans tout le domaine de vol
  • avec un potentiel d'évolution de 15%

Le cahier des charges né des besoins des 4 nations conduisait Eurofighter et Eurojet à concevoir un avion capable de répondre à 11 missions différentes, avec 8 critères de performance à atteindre. Sur ces 11 missions, 2 orientaient la conception à savoir : - la supériorité aérienne - l'interception supersonique en un minimum de temps chacune de ces deux missions consommant approximativement 75% du carburant soit en subsonique, soit en supersonique. Ces deux conditions ont un besoin diamétralement opposé en ce qui concerne l'un des paramètres principaux du moteur : la poussée spécifique. En d'autres termes, le taux de compression du compresseur BP devait être largement inférieur à 4 pour la mission de supériorité aérienne, mais supérieur à 4,5 pour la mission d'interception supersonique. La résolution de ce conflit d'intérêt a conduit à choisir un taux de compression de 4,2 pour le compresseur BP (2). De plus, les critères de rapport poussée/poids et de coûts de possession militaient pour une conception la plus simple possible (5)(6) afin de réduire au maximum le poids du moteur, et donc les coûts afférents.

Côté français, l'essentiel des études concernant l'ensemble des composants d'un moteur moderne fait suite au lancement à la fin des années 70 des programmes ACF, ACT 92, ACM et ECA. A cette époque, les trois partenaires de Turbo Union (Rolls-Royce, MTU et Avio) poursuivent le développement du RB-199 équipant le Tornado alors que les programmes multi-nationaux s'enchaînent à un rythme quasi-annuel (ECA, ECF, ACA puis EFA). C'est avec l'ACA, soutenu à bout de bras par la Grande Bretagne, que Rolls-Royce commence en 1982 à défricher les éléments constitutifs d'un nouveau moteur dont le démonstrateur sera lancé en 1984, peu après le début du projet F/EFA qui succédait à l'ACA.

En 1985, les désaccords autour de l'EFA sont évidents. Le compromis sur le poids à vide de l'avion a été trouvé dans la douleur, mais d'autres arguments sont mis en avant pour diminuer la part française sur le programme et imposer le moteur XG-40 de Rolls-Royce au motif que le M88 sera insuffisant (1)(3). Pour autant, SNECMA démontre la même année sa maîtrise des technologies d'un moteur moderne dont les performances sont supérieures à celles des moteurs existants dans la même gamme de poussée (F404 et RB-199), alors que le XG-40 ne tournera au banc que l'année suivante.

Il est assez amusant de voir les caractéristiques du M88 publiées par la presse anglo-saxonne de l'époque (exemple), qui se garde bien de préciser qu'il s'agit au mieux du démonstrateur technologique, et non du moteur de série. En résumé ce M88 est présenté comme un équivalent du F-404, mais en plus gros ce qui n'est évidemment pas flatteur.

Il ressort aussi de toutes ces lectures d'époque le sentiment que la Grande Bretagne s'est retrouvée en position de faiblesse au moment de négocier (ECA, ECF, EFA), avec les mains vides faute d'avoir autre chose à montrer que le Tornado. Vu sous cet angle, la tentation de tout faire pour évincer les français et retrouver une position plus confortable au sein d'un consortium dérivé de Panavia devait être particulièrement forte. Les accrochages ultérieurs avec les Allemands, notamment en ce qui concerne le partage du programme Eurofighter, procèdent à priori du même principe...